Londres se protège par Dominique Miller

Londres, 23 octobre 2011. Un soleil et une chaleur inhabituels. Les hôtels particuliers aux façades immaculées de Notting Hill. Les Aston Martin, Maserati et Bentley garées comme nos Citroën à Paris. Et puis les rues du Center chargées d’une foule obsédée par la consommation chic de Sloane et King’s Road. Frénésie et abondance ! Nous sommes dimanche.

Saturday night au night-club, où, pour entrer, il faut être membre, et pour être considéré consommer deux bouteilles de Dom Perignon. L’après-midi, on a promené les enfants au parc, privé : possibilité qui nous est réservée pour habiter dans une des belles demeures qui l’entourent. Alors seulement, on en possède la clef. En fait, un large parc privatif aux allures publiques. Pour convaincre les habitants de ce quartier huppé de leur microcosmisme, une pancarte au coin de la rue, une « Neighbourhood Watching » laconique : « Grâce à la vigilance des habitants de ce quartier, des voleurs ont pu être interceptés. » Don’t act ! Londres se protège ! A chaque carrefour, une caméra. Elles sont visibles, très présentes. On nous regarde. Attention !

De quoi se protège-t-elle ? La city, ses traders et leur train de vie deviennent une provocation de plus en plus incompatible à la pauvreté ambiante. La différence entre les classes sociales se creuse insidieusement mais assurément.  Londres se protège des émeutes, encore abasourdie par celles qui ont surgi en un éclair à Tottenham, venant de nulle part, imprévisibles. Elles se  sont multipliées dans tout le pays. Des jeunes chômeurs, qui déclaraient n’avoir d’autre perspective pour s’enrichir comme les traders que celle de devenir un dealer.  Elles ont été réprimées selon le style « Neibourhood watching ». Ce sont les habitants qui signalaient les pilleurs du centre commercial à la police, ainsi cette mère qui a dénoncé sa propre fille. Et puis la tension est retombée grâce à la répression. Juste à temps pour laisser la place au Carnaval de Portobello.

Mais depuis, les « indignés » ont envahi le parvis de  St Paul Cathedral pour protester contre la finance mondiale. De nouveau, Londres se protège. On vient de fermer la lourde porte de cet édifice symbolique. « Un évènement sans précédent », s’exclame le révérend. Cela n’avait pas eu lieu depuis la deuxième guerre mondiale. Les autorités anglaises sont plus coriaces que celles de New York. Les londoniens ont marqué le coup.

L’esprit britannique semble se défaire de son légendaire fair-play. Londres est devenue ce contraste de plus en plus insupportable entre l’affirmation de l’opulence, et la réclusion de la pauvreté. Ce contraste existe dans bien des capitales occidentales, mais il est particulièrement voyant dans la capitale anglaise. Et semble de plus en plus signifier un arrangement incompatible entre les classes sociales.

Faut-il y voir un symbole de ce contraste de plus en plus paradoxal : vous pouviez ce dimanche enchainer la visite de la Royal Academy où les danseuses juvéniles, douces et innocentes de Degas font rêver, et de la Tate Modern où Gerhard Richter nous expose, en gris et en flou, sa fascination pour les dangers de la haute mer et de la haute montagne, mais surtout pour les catastrophes de l’histoire. Et si vous ne connaissez pas le tableau du terrible attentat du World Trade center, allez le regarder. Il ne fait pas rêver. Il est un de ces plus beaux !

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