Trouver refuge dans le discours analytique par Réginald Blanchet

Il n’ira pas à la grande manifestation de ce mercredi 19 octobre qui se déroule en ce moment même Place

Syntagma à Athènes. Il a trouvé refuge à sa séance.  Il se tord d’angoisse. Il craint pour la vie de ses parents qui sont partis manifester contre les mesures d’austérité intolérables mises en vigueur. Mais si la manifestation est légale, de quoi a-t-il si peur ? Oui, mais si ses parents venaient à mourir qu’adviendrait-il de lui ? C’est que sans eux il n’est rien. Il a toujours été un enfant sage. Il n’a rien fait pour appeler ce coup de matraque qui lui a ouvert le cuir chevelu et manqué de lui fracasser le crâne. C’était au mois de juin dernier alors qu’il manifestait paisiblement avec tant d’autres. La puissance publique ne connaît pas de borne. Aussi se veut-il anarchiste. L’Autre, c’est sa vie, et c’est sa mort. Il en dépend hors de toute mesure. Il vit chez ses parents. Mais voilà qu’ils s’apprêtent à prendre leur retraite en province. Il travaillait  sous la protection de son père, faisant un petit boulot sans rapport avec ses études. Mais à présent il l’a perdu. Il partageait un logement avec quelques amis mais ils s’en sont allés chacun de son côté. Le voilà seul. Le pire de tout. Il a voulu porter plainte contre l’agression de la police. Mais il est dans l’incapacité totale d’affronter les caméras de télévision comme y insistent ses avocats. A cette seule idée il est terrassé. Le risque pour lui est incommensurable. Il l’accable. Il se sent coupable. Il choisit de se faire comptable de cette faute morale. Il veut croire à la causalité psychique de sa terreur. Le discours analytique en est le seul répondant valable à ses yeux. Son pari : se fabriquer un inconscient. Ce n’est pas vain. L’inconscient est thérapeutique : il habille le réel, du semblant apte le rendre supportable. Interpréter l’inconscient, croire à la causalité psychique c’est l’espoir de Kostas, son recours pour esquiver le réel de sauvagerie qu’il a identifié au lieu de la Police.

Trahit sua quemque voluptas

Cependant que le plus grand rassemblement depuis le début de la crise s’achevait à Athènes, plus de 100.000 manifestants au bas mot, rapporte-t-on, Néféli faisait le rêve suivant qu’elle relate en séance. Je me trouvais au 5ème étage d’un immeuble. C’est à Paris. Je suis debout et regarde par la baie vitrée la petite place qui se trouve au bas de l’immeuble. Des gens s’attroupent et se disputent. Un homme est à son bureau à côté de moi et écrit. Il me dit que c’est normal. Cela m’apaise. Je descends pour aller déguster les gâteaux que j’aime tant. Que les autres se bouffent le nez s’il leur en chaut, moi, je déguste mes gâteaux. Donc acte. L’inconscient interprète le réel pulsionnel. L’inconscient, à l’instar du rêve, de son écriture, est égoïste. Il ne connaît ni le temps qui passe ni les temps qui courent. Rien de nouveau à son cadran. C’est l’éternel retour du même pulsionnel. Le sujet est convié à y donner, à sa guise, son assentiment. Cela fonde une éthique, pas seulement le seul cynisme de la jouissance. « Laisser chacun à son mode de jouir ». C’est à partir du réel de la jouissance qui ne se partage pas que le discours analytique s’oriente. Il ne restera plus qu’à rêver de la distribution égalitaire de la jouissance dans le socius. Et à en parler. Ou s’étriper même. C’est normal, fait dire comme de juste Nefeli à son scribe de service. Mais elle aura à s’en convaincre pour son propre compte, elle qui n’a de cesse de se lamenter que l’on ne prenne pas sa personne comme mesure de toute chose.

 paru dans le n° 70 de Lacan Quotidien

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