Les « détenus de soutien », ou les Schmürtz du monde moderne par Déborah Guthermann-Jacquet

En 2009, Michèle Alliot-Marie déclarait sa volonté « d’établir la transparence sur les suicides en prison » et annonçait dans ce but vingt recommandations,au sein desquelles elle évoquait la nécessaire« formation des personnels dans les quartiers disciplinaires, la poursuite des démarches visant à leur prévention », et notamment, dans ce cadre, de « développer l’expérience menée dans d’autres pays européens » des « Détenus de soutien »

Un récent article du journal Libération (1) revenait sur cette expérience des « codétenus de soutien » (CDS) mise en place en mars 2010 dans plusieurs établissements pilotes. Depuis un an et demi, des codétenus triés sur le volet reçoivent ainsi une formation d’une trentaine d’heures dispensée par la Croix-Rouge, avant d’être chargés d’effectuer un repérage de leurs congénères susceptibles de passages à l’acte suicidaires, notamment au cours de la promenade. Les formateurs sont des bénévoles, comme en témoigne l’annonce publiée sur Internet par la Croix-Rouge. L’organisation fait ainsi appel à ceux qui, parmi eux, ont « une expérience d’écoute soit professionnelle soit bénévole » et un « bon équilibre psychologique ». En conclusion et gage de sérieux, l’institution demande un « engagement moral de disponibilité (régularité, pas d’amateurisme) ».

Ce projet, c’est le Professeur Jean-Louis Terra, psychiatre, qui l’a porté. Il est le concepteur, d’une « méthode de formation de formateurs – des psychologues, des psychiatres – qui a leur tour vont former des professionnels – professeurs, gardiens de prison… – à l’écoute et à la prévention du suicide (2)», méthode qu’on appelle communément « la méthode Terra (3)». Cette méthode, établie à la demande de la Direction générale de la Santé, a été cosignée par le Professeur Terra et Monique Seguin, à laquelle Anne Béraud, dans le Nouvel Ane n°10 consacrait déjà un article, tandis que Benoît Delarue s’intéressait dans le même numéro aux partisans de l’autopsie psychologique (4) – dont Monique Seguin et Jean-Louis Terra font partie – qui allaient évaluer les morts pour leur faire dire la cause de leur geste funeste dans le but d’établir un « portrait robot »du suicidé. C’est en effet une des vertus supposées de ces autopsies que de permettre une meilleure politique de prévention. Les collègues du professeur Terra, qui l’interviewent, notent cependant, la « dimension profondément humaniste de [son] approche de lapsychiatrie ». Tout dépend en effet des critères d’évaluation retenus pour définir une démarche de ce type et de la manière dont un gentleman

sait s’adresser au mort –« Un sucre, ou deux dans votre tasse de thé, cher suicidé?»

Le projet des « codétenus de soutien », qui doit faire l’objet d’une évaluation prochaine, établit un glissement quant à la « méthode Terra ». Il ne s’agit pas de « professionnels » formant d’autres « professionnels » à l’écoute, mais d’amateurs formant d’autres amateurs – si l’on suit avec sérieux la dénégation de la Croix-Rouge. Une sélection drastique s’opèrerait cependant à l’intérieur des candidats, et notamment de ceux qui proviennent des rangs des détenus, assure le Pr. Terra. L’illusion donnée par l’écrémage ne doit cependant pas masquer un point. La surdité avec laquelle on traite la détresse provenant du milieu carcéral. Longtemps indifférents aux souffrances de ceux qui sont enfermés, c’est aujourd’hui avec le même mépris qu’une solution leur est apportée.Une solution au rabais, moins coûteuse que la mise en place d’un véritable dispositif d’écoute permettant à la parole prisonnière d’être entendue pour ce qu’elle est. Un mépris qui porte de manière indifférenciée sur le « codétenu de soutien » et sur le détenu en danger, et témoigne de la situation de rebut absolu que le prisonnier occupe dans notre société.

Les « codétenus de soutien » font penser à ces personnages de Boris Vian. Au « Schmürtz », le souffre-douleur informe qu’il est le seul témoignage d’un malaise qui ne trouve pas de mots pour se dire et que dans les coups qu’il reçoit, plus forts à chaque fois, le drame se resserre sur la famille qui le traîne. A un autre nommé « la Gloïre » enfin, celui qui, sur une petite barque était chargé de ramasser avec les dents les cadavres tombés dans la rivière qu’il était payé pour parcourir. Des monceaux d’or étaient donnés à la Gloïre pour ramasser la honte de ceux qui n’en voulaient rien savoir. Les « codétenus de soutien », au nom si programmatique et si peu poétique font le boulot de la Gloïre. Mais ils ne sont pas payés d’or pour ça. Ils sont les immondices parmi les immondices, habitants d’un lieu qui traite le déchet plus ou moins proprement. Les humanistesqui ont conçu ce projet ont ainsi mis en place un système de relais à l’administration pénitentiaire qui encourage les démunis parmi les démunis à traquer des « sujets à risque » livrés à la férocité de l’axe imaginaire.La parole qui y est incarcérée n’est médiatisée par rien. Elle est une balle, qui dans la cour de promenade, rebondit de a à a’ avant de retomber, plus ou moins violemment, sur le béton du non-lieu.

 

(1) Edition du lundi 7 novembre 2011.

(2) Catherine Pichené, Interview de Jean-Louis Terra,

 http://www.youtube.com/watch?v=UjMyOIPJ48w

(3) « La méthode Terra » : http://www.youtube.com/watch?v=lDZR3SwLkic

(4) Anne Béraud, « Monique Séguin experte en suicides », Le Nouvel Âne n°10, p. 34 et Benoît Delarue, « Les Cleaners de la mort », Le Nouvel Âne n°10, p. 31.

Publié dans le N°90 de Lacan Quotidien

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