Zizek avec Borges par Marco Mauas

L’argument de Slavoj Zizek, à propos de l’alternative qu’il propose pour la psychanalyse, et tout spécialement à Jacques-Alain Miller (1)  – ou bien le cynisme libéral, ou bien le semblant d’un acte héroïque – peut-être lu – c’est mon hypothèse – avec Jorge Luis Borges.

Dans le « Thème du traitre et du héros (2)», Ryan, le narrateur n’est autre que l’arrière petit-fils du héros, le « … jeune, l’héroïque, le beau … Fergus Kilpatrick »,  « conspirateur, secret et glorieux capitaine de conspirateurs ». Ce héros fut assassiné dans d’étranges circonstances ; il périt en effet, « la veille de la rébellion victorieuse qu’il avait préméditée et rêvée », tout « comme Moise, qui, du pays de Moab, aperçut et ne put fouler la Terre promise.»

Ryan, en voulant écrire la biographie de son aïeul, se heurte au mystère qui entoure son assassinat. Le fait est que l’on ne trouva jamais l’identité du meurtrier. Ryan, le premier, réussira « à déchiffrer l’énigme » : Kilpatrick fut assassiné dans un scénario particulièrement sombre et tortueux, mené avec la complicité, plusieurs jours durant, de nombreux habitants de la ville voire de la ville toute entière. 

Borges, situe son récit  « dans un pays opprimé et tenace : (…) disons l’Irlande, (…) disons 1824 », Avant sa disparition, Kilpatrick signe la peine de mort du traitre qui menace de faire échouer la rébellion. Le nom du traitre n’est pas connu, il a été effacé. James Nolan, chargé par Kilpatrick de découvrir son identité, annonce que le traitre est Kilpatrick lui-même. Le président Kilpatrick est condamné à mort. Il signe lui-même sa condamnation, en implorant  « que son châtiment ne nuise pas à sa patrie ».

L’assassinat de Kilpatrick, dans un théâtre, fut conçu et planifié de manière à laver Kilpatrick de tout soupçon de vilenie. Ryan, le narrateur-chercheur, découvre que les passages de la pièce de théâtre inventés par Nolan sur le modèle du Macbeth de Shakespeare, et notamment les moins dramatiques, furent intercalés en vue de faciliter ultérieurement la découverte de la vérité. Ryan comprend alors qu’il fait lui-même partie de l’intrigue échafaudée par Nolan.

Le traitre – Kilpatrick – est d’accord pour s’accommoder d’un semblant de héros abattu – il est lui-même, on le rappelle, le signataire de sa peine de mort –  dans des circonstances obscures ; si bien que l’on peut-être d’accord avec Zizek pour situer l’acte héroïque  comme « un semblant avec du réel dedans », encore faudrait-il y situer, le semblant et « son » réel dedans. 

Il se pourrait bien que là où il situe le semblant, c’est un semblant, certes, mais  venu d’autre part – de sa lecture de Hegel par exemple. Ou même de son parcours analytique. Chaque fois que l’on parle de psychanalyse, il convient de ne pas oublier ce que Lacan disait lors de sa conférence à l’Université de Columbia (3) : « le discours analytique existe parce que c’est l’analysant qui le tient. » C’est lui le héros, dans les conditions  de ce discours.

(1)http://www.lacanquotidien.fr/blog/2011/08/zizek-linconscient-cest-la-politique/

(2) Borges J. L. : “Thème du traitre et du héros”, Fictions, (1944), in Œuvres Complètes, La Pléiade, Gallimard, 2010, T. 1, p. 522, trad. par Roger Caillois, Néstor Ibarra et Paul Verdevoye, Revue par Jean Pierre Bernes.

(3) Lacan, J. : “Le Symptôme”, Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines. Scilicet, n°6/7, 1975, pp.42-45.

 « Dans l’analyse, il y a quand même, il faut le dire, certains résultats. Ce n’est pas toujours ce qu’on attend : c’est parce qu’on a tort d’attendre, c’est ce qui fait la difficulté d’être analyste. Les analystes, j’ai essayé d’en spécifier quelque chose que j’ai dénommé le discours analytique 

Le discours analytique existe parce que c’est l’analysant qui le tient… heureusement. Il a l’heur (h-e-u-r), l’heur qui est quelques fois un bon-heur, d’avoir rencontré un analyste. Ça n’arrive pas toujours.»   

Publié dans le N°85 de Lacan Quotidien

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