Ce n’est pas lui, C’est Moi, dit-Elle par Armand Zaloszyc

La bibliothèque de l’Ecole de la Cause freudienne vient d’acquérir le livre de Genil-Perrin sur l’histoire de l’idée de dégénérescence. Ça m’a fait drôle. C’est un livre que j’ai bien connu, et lu de près. Je dois bien en avoir encore quelque part la copie que j’avais attentivement annotée. C’est la Bible en la matière, cette thèse de Genil-Perrin, datée de 1913. Quoi qui ait été écrit ensuite, on y retrouve les idées qu’il a avancées, les récits qu’il a donnés, et aussi les quelques erreurs qui sont recopiées par la suite comme parole d’Evangile, et répétées avec toute l’autorité de… l’auctoritas ! C’était parti in saecula saeculorum s’il n’y avait eu Burgener en 1964 : cinquante ans, c’est ce qu’il aura fallu ! Vous ne connaissez pas Burgener ? Vous lisez ce nom pour la première fois ? Rien d’étonnant. Il a été soigneusement laissé dans l’ombre quand on allait répétant, les uns après les autres, avec le plus grand sérieux, deux ou trois bourdes de Genil-Perrin. Jusqu’à des historiens de la psychiatrie qui, sur le sujet, plutôt que de se référer à Burgener qui avait vu enfin de quoi il retournait avec les fameuses dégénérescences, reprenaient cette structure centrale qu’ils ne pouvaient avoir trouvée que chez lui et faisaient mine de l’attribuer à un auteur qui n’y avait vu que du feu, qui comme les autres s’était contenté de recopier Genil-Perrin.

Ah ! Rickman !Merveilleux Rickman qui avait donné à l’International Journal of Psychoanalysis un article sur la citation – On Quotations – où il décrivait par le menu toute la série des techniques de citation chez les plagiaires, celle-ci en particulier : onvous cite sur un point d’importance mineure lorsqu’on vous a pillé pour l’essentiel. Mais la technique admet des variations, qui vont d’un minimum à un maximum, et il se peut que vous ne soyez nullement mentionné, même pour des points d’importance mineure.

Voyez Elisabeth Roudinesco. A-t-elle effacé partout le nom de Jacques-Alain Miller ? Vous trouvez celui-ci mentionné à plus d’une reprise dans son dernier livre, elle n’adopte pas la procédure Rickman maximale. Mais lorsqu’elle donne l’énumération de la liste des normaliens intéressés par Lacan à son arrivée à l’E.N.S., Jacques-Alain Miller n’y figure pas – voyez le livre, page 86. Là, c’est si hénaurme, n’est-ce pas ? Un oubli malencontreux ? Ah ! Un oubli de nom propre – mais voilà, elle paraît ne pas même s’en apercevoir, elle ne l’analyse pas. Pourtant, il est permis d’en savoir quelque chose, puisqu’elle proclame qu’elle publie en qualité d’historienne. D’où, en première lecture : par qui est faite maintenant, dans ce qu’elle est de vivant, l’histoire de la psychanalyse ? Ne sait-on pas que c’est essentiellement par Jacques-Alain Miller ? Le malencontreux oubli où ce nom est ici comme aspiré semble appelé par l’équivoque de l’expression « faire l’histoire », et l’on peut même y percevoir la réalisation d’une transformation grammaticale du type : « ce n’est pas lui, c’est moi ».

Paru dans le N°77 de Lacan Quotidien

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