A mots couverts par Nathalie Georges-Lambrichs

Ce compendium sadien en dix tableaux ne vous laisse pas indemne. « C’est dingue », écrit François Forestier. Tirant sur les innocentes tirettes et chevillettes vous voilà acteur de l’imagerie clandestine qui vous est offerte et en en dévoilant les dessous, vous voilà voyeur volontaire de sexes et de bains de sang humain. Partagé entre le souvenir de vos livres d’enfants, ancêtres de la 3D, – le loup soudain, sa langue en relief –, la crainte d’abîmer l’objet, la curiosité coupable avivée vous déportant sur les bords de l’image ou en son centre,  vous pouvez vous cramponner à un porc, un coq, une brebis intacts, saisis dans leur propre regard sans focus. Comme c’est tentant de vous en tenir aux détails semés avec art, chiffrage défiant votre savoir et celui de google : ces références oubliées ou gommées, ces numéros épars, ces visages en souffrance d’être identifiés, ces citations caviardées, qu’il serait beau de les situer, de les trouver et de cataloguer tout cela dans une grille savante.

 Vous vous rêvez érudit, glosant, ou analyste, subsumant quelque intention déchiffrable dans ce qui se laisse appréhender chaque fois comme un rébus, ou sibylle interprétant cette lame que vous avez tirée, enforme de destin. Rien de tout cela ne tient. Le destin est là : des corps en pâture forcés, torturés.
Force sera de revenir à la source unique, au nom de Sade, donc. Ce que fait Michel Surya, qui nous résume dans sa préface Sade en deux pages, sa position, son statut
ready made, ouvrant une porte piranésienne sur une étrangeté supplémentaire : bientôt, tout cela pourrait bien être plié.

   Pensez, alors, il est temps encore, puisque la pensée est là, vous dit-il. Elle est dans les images au silence bientôt assourdissant, où tourbillonne la pensée entraînée dans le mouvement figé de la chute des corps gravés dans ce vadenonmecum, plutôt vaderetro, échoués dans des bergeries aux ciels de hurlevent, ou ces traits épais empruntés aux tarots de Marseille qui se divisent et font s’échanger les hauts et les bas dans l’effeuillage machinal auquel vous procédez, livré aux catins batailliennes exhibées et nues sous leurs robes tachées, et bientôt écorchées.

Sade objecteur, sade up objet tout court, court toujours. Pensez à ce destin-là, inouï, à ces vingt-sept années de privation de liberté vouées à l’écriture d’une philosophie éprise de raison à rebours de toute pensée d’aucun « progrès ».

   Il est temps.

Sadeup de Frank Secka 

Préface de Michel Surya, Ingénierie papier par Philippe Huger (Rouergue 2011)

Un petit film réalisé à Arles par l’éditrice en donne un aperçu;  On n’y voit pas tout !

Voici le film.

Publié dans le N°98 de Lacan Quotidien

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