À propos du film HABAMUS PAPAM de Nani Moretti par Stéphanie Morel

« Habemus Papam », le dernier film de Nani Moretti met en scène le sublime Michel Piccoli dans le rôle pas ordinaire d’un cardinal pas vraiment favori, élu Pape par le conclave. Il n’est pas rare que le papable ne soit pas un favori mais un 3e choix pour éviter des divisions trop profondes entre les réformateurs et les conservateurs.

Le huis clos de l’élection dévoile un conclave défaillant en peine de choisir celui qui sera à même d’endosser la lourde responsabilité pontificale. Comme par miracle et contre toute attente, les scrutins sont en faveur de Melville dont le nom retentit à répétition sur le fond d’un « pourvu que ça ne soit pas moi » que certains se disaient à eux-mêmes.

Le vote est concluant, la fumée blanche l’annonce au monde entier et enfin le cardinal protodiacre proclame depuis le balcon central de la basilique St Pierre : « Habemus Papam ! », (« Nous avons un pape ») auquel fait écho dans les coulisses du balcon le cri irrépressible du nouveau pontife qui faute de pouvoir incarner sa nouvelle fonction, balbutie un « je n’y arrive pas » et s’enfuit.

Le réalisateur fait de ce spectacle une farce visant le vacillement du semblant par excellence, la Vorstellung reprezentanz de la religion catholique transmutée en homme du commun rongé par son symptôme d’impuissance. Un renoncement pas très catholique dont la structure m’a beaucoup interrogée.

Que déroule le film ensuite ? Sur fond de séquences mettant en scène un conclave incarnant un désir de l’Autre en déroute, composé de vieux cardinaux dupés et ignorants, aux prises avec leurs petites jouissances dans l’attente du retour du St Père, le conseiller en communication du Vatican fait appel à un psychanalyste pour sortir au plus vite le pape de cette impasse. Les consignes strictes imposées à ce dernier, de ne poser aucune question intime au pape, rendent d’emblée caduque toute investigation analytique possible, d’autant plus que l’entretien se déroule en présence du conclave. Fort de cette incompatibilité majeure, que devient le psychanalyste ? Un coach s’occupant à travailler pour la logique universelle en organisant des tournois de volley pour les cardinaux. Il n’est donc question ni de Dieu, ni de la foi dans ce film mais d’une crise qui touche les fondements même de ce qui fait fonction d’autorité.

Melville représente tous les autres en apparence, ainsi quand le choix se porte sur lui et le propulse en position d’exception sous la figure du Pape, la seule issue c’est la fuite et que fait alors le non dupe ? Il erre, incognito, dans Rome. Melville n’arrive pas à dire, ne comprend pas ce qui lui arrive et c’est auprès d’une femme psychanalyste, l’ex-femme du psychanalyste enfermé avec le conclave, qu’il donne un nom à son errance : dépression.

Hors des murs du Vatican Melville s’immerge en non dupe errant dans le théâtre de la vie ; un frère qui frappe sa soeur, un homme dans le bus au téléphone au bord de la rupture sentimentale, le psychanalyste cynique qui ne cesse pas de dire que sa femme l’a quitté parce qu’il était le meilleur. Ainsi, en filigrane du renoncement théâtral du pontife, le non rapport entre les hommes et les femmes est décliné à tous les étages. C’est d’ailleurs dans le théâtre de Tchekov, la Mouette, dont il connait les répliques par cœur, que le pape en déprime semble retrouver un bout de son être.

 Lacan, dans Le triomphe de la religion nous indique que la religion, la vraie, la romaine est celle qui est capable de sécréter du sens face aux bouleversements les plus curieux, elle est faite pour guérir les hommes pour qu’ils ne s’aperçoivent pas de ce qui ne va pas. Elle s’institue en Autre capable de donner la réplique à la science, en Autre qui sait.  La figure du pape incarne ce supposé savoir de la religion, capable de réduire l’écart entre la vérité et le savoir. Or, c’est précisément cette fracture que Melville incarne avec son symptôme d’impuissance, il ne sait pas ce qui lui arrive et ne répond plus de rien.

Comme nous l’indique Lacan à propos de la position du parlêtre dans Le triomphe de la religion : « Pour cet être charnel, ce personnage répugnant qu’est un homme moyen, le drame ne commence que quand le verbe est dans le coup, quand il s’incarne, comme dit la religion, la vraie. » L’homme d’exception qu’est le pape n’échappe pas à la dure loi du réel et du même coup Nani Moretti en fait un pur semblant inopérant parce que déserté par le désir d’un homme qui serait enclin à en assumer la charge.

Du courage ?

La scène finale du film révèle les conditions du retour possible de Melville au Vatican. Il revient, un peu contraint certes, mais il revient, beau comme un pape pour prononcer le discours tant attendu qu’il achève ainsi : « Vous avez besoin d’un guide et ce n’est pas moi, je suis de ceux qui sont guidés pas de ceux qui guident » et il s’en va. Dans ce coup de théâtre final, poussé par un choix forcé, pas vraiment élucidé dans le film, Melville démontre en acte, par son renoncement assumé, la nécessité d’incarner le sujet-supposé-savoir de la religion pour que le semblant opère. La possibilité de cette incarnation aurait supposé sans doute que la cause de son désir soit à même de supporter la béance intrinsèque à toute croyance.

Publié dans le N°78 de Lacan Quotidien

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