La cravate de Bart de Wever par Philippe Hellebois

Depuis son accession soudaine au firmament de la politique belge en 2010 – son parti, la Nieuwe-Vlaamse Alliantie (NVA), le parti nationaliste flamand, est passé, en un seul scrutin, de 5 à près de 30 % des voix en Flandres –, Bart De Wever apparaît en public le plus souvent sans cravate. Il porte le complet-veston comme ses collègues, mais lui seul reste obstinément sans cravate. Si les autres varient de plus en plus leurs tenues selon les conseils de leurs communicants ou les couvertures des magasines, ils l’arborent néanmoins quand ça se trouve : communication à la Chambre, réunion gouvernementale, entretien avec le Roi, etc. 

La pièce ne manque pas à Bart par hasard, j’en jurerais !

Il ne suit pourtant aucune mode, même de loin, et la dicte moins encore. Il n’a aucune prétention à l’élégance vestimentaire, et ne s’identifie pas, même en rêve, à BHL. Bart n’est assurément pas un dandy.

Ce n’est pas le costume qui le distingue, mais le corps, grand, large, imposant, importun, fut-ce à lui-même, puisqu’il s’en plaint quand il en parle, regrettant notamment ce qu’il appelle son obésité.

Alors ? Je pense que les rares fois où l’on a vu porter une cravate éclairent le mystère : elle semblait littéralement lui entrer dans la chair, actualisant le supplice que Kafka imaginait dans « La Colonie pénitentiaire », où la sentence était gravée sur la peau des condamnés.

La cravate serait-elle donc pour lui le signe d’une condamnation ? Mais à quoi ? Ne serait-ce pas tout simplement au pouvoir! Dans le plat pays, celui-ci reste encore, pour une plus ou moins grande partie, belge, c’est-à-dire national, et c’est ce dont Bart ne veut absolument  plus, préférant l’émancipation de la nation flamande.

Il le dit, et le répète de façon singulière, sans langue de bois, sans termes techniques, dans la langue de tous les jours, mais souvent à la limite de l’insulte. Il glisse dangereusement – c’est l’homme des petites phrases assassines –, dérape souvent, mais sans soulever néanmoins de trop grandes vagues… À moins que ce soit ceux dont il parle qui laissent dire, puisqu’il put qualifier la Wallonie de junkie dans une interview au journal allemand Der Spiegel sans faire réagir grand monde. Quant à ses propos, à la limite du négationnisme, stigmatisant les excuses présentées par le bourgmestre d’Anvers à la communauté juive pour l’attitude de son administration pendant la dernière guerre, ils ne provoquèrent finalement qu’une indignation convenue.

Il a rencontré Jean-Marie Le Pen quand il était jeune (mais il n’est pas encore vieux !), il en imite parfois le discours, surtout l’affèterie – l’un manie parfois le subjonctif imparfait, l’autre parle à l’occasion latin – tout en faisant moins de bruit.

Entre le pouvoir et son fantasme (si l’on me permet de donner un nom clinique à ce que l’on qualifie d’ordinaire plus noblement de programme), il choisit indubitablement le second. Cela lui a réussi une première fois en 2007. Il quitta la table des négociations après cent nonante deux jours de vaines palabres, critiqua pendant les trois années suivantes le gouvernement bancal qui s’était formé sans lui, et devint le premier parti de Belgique aux élections de 2010. La soirée électorale nous ménagea alors la surprise de voir Bart tirer une tête d’enterrement, faire le service minimum pour saluer sa victoire, et surtout ressembler à Ségolène qui, en 2007, fêtait sa défaite en chantant. La structure ne respecte vraiment rien !

Été 2011, bis repetita… Bart claque la porte après plus de trois cent soixante cinq jours de négociations d’autant plus infructueuses qu’il les bloquait en y participant. Francophones et Flamands s’entendent ensuite sans lui comme ils le peuvent, soit aussi mal que d’habitude. L’on annonce maintenant une paix communautaire, mais pour combien de temps ? Les hommes politiques du nord du pays s’empressent d’ailleurs de déclarer que les revendications flamandes constituent un processus évolutif !

Et Bart dans tout ça que devient-il ? On ne l’entend plus, ou beaucoup moins. S’il est évident qu’un accord avec les francophones lui auraient immanquablement fait perdre de nombreuses plumes aux élections à venir, l’on peut se demander quand même quelle mouche l’a piqué cette fois-ci. En effet, cette manœuvre peut-elle encore lui faire gagner des voix ? Est-ce possible quand on pèse déjà 30 % des voix flamandes ? Est-ce surtout cela qu’il cherchait ? L’on ne peut que se perdre en conjectures. Ce qui est plus certain, c’est qu’il tenait le sort du pays entre ses mains, et qu’il n’a finalement rien fait. Il disait vouloir que la Belgique disparaisse sans qu’on s’en aperçoive, qu’elle s’évapore, ou encore qu’elle s’éteigne comme une bougie.

Mais alors, pourquoi ne l’a-t-il pas soufflée ? C’eut été un geste ténu, mais de grande conséquence, et donc bien plus que ça, soit un acte. Cela en angoisse plus d’un !

Publié dans le N°83 de Lacan Quotidien

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