Éloge de la singularité

Mauricio Beltrán

 Traduction : Sophie Caussil

Quand on m’a demandé si je pouvais rendre compte, à partir d’un cas, de l’efficacité de la psychanalyse dans l’amélioration de la souffrance subjective  d’un enfant dit « autiste », je me suis empressé de répondre : « bien évidemment ». Au même moment j’ai nuancé ma réponse, par une sorte de pudeur qui tempéra  cette assurance,  en me reprenant : « tout au moins pour moi ».

C’est que ma question fut : « Est-ce suffisant ? Est-il suffisant que dans ma pratique psychanalytique avec des enfants dits autistes, j’observe des modifications substantielles dans leur positionnement face à l’Autre du lien social et face aux objets avec lesquels « on » attend qu’ils établissent un lien ? Est-ce suffisant pour moi ? Est-ce suffisant pour eux ?

Q’un enfant de trois ans se présente avec une série de manifestations orientées vers le rejet d’un échange minimum, qu’il se tape la tête et les pieds contre le sol du cabinet face à une approche fortuite ou intentionnelle, et que trois années plus tard il entretienne avec l’analyste un échange franc d’objets, et, qu’il suive une scolarité ordonnée et amicale, et retienne les paroles de  partenaires occasionnels qu’il ne repérait pas jusque-là, et qu’il oriente sa conduite et ses intentions, tout cela, pourrait se révéler insuffisant.

Tout cela relève en effet de la contrainte de la réalité extérieure. Freud à un certain moment,  oppose la réalité extérieure à  la réalité psychique.

Dans cette perspective, je pourrais affirmer à nouveau, selon mon assurance initiale, que la réalité psychique de cet enfant qui a près de 6 ans, s’est organisée progressivement, en se basant sur une série de coordonnées  qui lui permettent de mieux se débrouiller avec les urgences du social : de petites bornes, des signaux,  des balises lui permettent par exemple, de faire déborder un verre d’eau à plusieurs reprises, quand il se sent débordé.

Il répond ainsi à une requête des maîtresses d’école que j’assistais, préoccupées du fait qu’« il ne supportait pas » de goûter avec ses camarades de classe : il pleurait, se tapait, s’isolait. Maintenant il goûte avec les autres : à force de transvaser encore et encore son verre de lait dans un autre verre, pour finalement, le boire à petites gorgées.

Mais si la réalité extérieure – en la personne du neurologue infantile – n’est pas d’accord avec ces concessions que l’enfant octroie à l’Autre de la demande de lien social, et le considère comme bizarre ou inadapté et qu’il indique, comme le stipule son ordonnance du mois de mars dernier, un traitement cognitivo-comportemental, que reste-t-il de cette construction singulière qui lui sert à faire face à la contrainte ?

I l y a trois ans, « les perspectives de lien » de cet enfant n’étaient pas aussi « raisonnables » qu’actuellement, il générait un malaise dû à  la manière dont  il s’exposait aux chutes ou aux coups,  en grimpant sur les meubles ou en sautant sur les chaises. Les interventions visant à éviter ces conduites à risque éveillaient en lui de violentes réactions. Faute de lui parvenir  par le biais du symbolique, il se les infligeait à lui-même, en se frappant le visage  ou en se cognant  la tête contre le sol.

Le corps à corps était pratiquement la seule manière de s’approcher de lui. J’ai pu  y participer  par une position d’attente qui faisait de moi un meuble de plus à escalader.

La continuité dans l’espace qui n’admettait ni arrêts ni coupures face au danger, fut remise en question par une intervention dont je pris l’initiative : compter jusqu’à trois puis le lancer sur le divan de mon cabinet. A partir de là, l’enfant chercha à répéter cette action encore et encore.

Des balbutiements ont alors commencé à scander les va-et-vient du corps. Courts et prolongés, ils accompagnaient ses mouvements et délimitaient une expérience de satisfaction où se configurera  une inscription.

Sur ce dispositif de corps à corps, un objet se construit : quelques petits assemblages qu’il cherche et soutient avec force, avant d’être lancé sur le divan.

La parole peut alors faire ancrage dans l’objet et donner lieu à une première interprétation: « tu n’es plus un objet à lancer ».

Cette interprétation, associée au lancer des assemblages sur le divan,  suscite la surprise manifeste chez l’enfant. A partir de ce moment,  il commence à les ramasser pour à nouveau les remettre à l’analyste et répéter l’action.

L’objet lancé sera celui qui par la suite commencera à s’échanger, inaugurant une série métonymique qui va des assemblages aux papiers de couleur et de ceux-ci aux coussins. Toujours pour être lancés sous son regard vigilent et son geste de joie.

Cet enfant s’extrait du circuit réel du corps et  peut venir se loger au lieu d’où il regarde la série des étapes qui anticipe la fin espérée.

Une fois de plus, l’intervention analytique trouve une corrélation dans sa façon de se débrouiller dans la classe à l’école. Les maîtresses l’observent et le trouvent « plus attentif », capable de soutenir les activités sans  déambuler comme auparavant.

Ce mince filet de sens qui comporte la marque d’une jouissance permet d’inscrire selon une métonymie propre à chacun, la voie, le chemin du désir…

Dans cette perspective, la psychanalyse, comme pratique, se révèle adéquate au traitement du « un par un » qui requiert une inventivité  pour border le réel  à partir d’un impératif pressant et qui porte aujourd’hui un nom  (équivoque) : adaptation.

 

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