JACQUES-ALAIN MILLER : Goya dans Lacan Quotidien – LQ 33
LACAN QUOTIDIEN publiera demain une étude de Pascal Torres concernant les quatre cuivres de Goya qu’il a récemment acquis pour le musée du Louvre, où il est le Conservateur de la Collection Edmond de Rothschild et de la Chalcographie.
Le mode de distribution de LQ rend difficile de publier ensemble ces quatre admirables gravures. Nous allons tourner la difficulté, et même la faire tourner à notre avantage, en vous adressant les icônes une par une au cours de la journée, sous la forme « Communiqué de JAM ».
J’ai les quatre étalées devant moi, sur mon bureau, sorties de mon imprimante à partir des icônes qui vous seront envoyées. Je les regarde pendant que quelqu’un parle à l’Autre. C’est d’une beauté… Et d’une beauté qui fait penser – comme toujours avec Goya. C’est une beauté « cause de pensée », et non pas une beauté « voile de la vérité ». Goya peint toujours la castration regardée en face.
Quand je pense que Gori ne pouvait pas regarder Lacan en face, et qu’aujourd’hui, il confie ça à Lacroix… Alexis Lacroix, qui n’est pas son confesseur, non, mais un journaliste talentueux – et non talentueur, encore que, sous ses airs de gentil garçon… Et sa trouille de Lacan, Gori s’en vante, il se trouve d’une prudence admirable…
Bon, peut-être, après tout, que Lacan, c’était sa castration à lui, Gori. C’est même probable. Ce doit être ça. Car Lacan a été la castration de beaucoup. Pour eux, un réel clinique, impossible à supporter. Et pourquoi, moi, l’existence de Lacan, ça me rendait joyeux ? Et Joyaux aussi, je veux dire Sollers, ça le rendait joyeux.
Lacan, ça lui allégeait la vie, à Philippe, le poids qui pesait sur lui, de tous ces soi-disant chrétiens « de gauche », et le Juif leur servant de faux-nez, avant le converti à l’Islam. Bref, toujours le syndicat Esprit^Le Monde^Le Seuil. Mal en point de nos jours, certes, cat il leur est plus difficile de prospérer dans l’économie de marché que de grenouiller dans une société d’ordres, comme était la France jusqu’à ce que la gauche arrive au pouvoir – car c’est le pauvre Bérégovoy qui a vraiment commencé à chambouler tout ça. Si j’aime l’histoire, c’est qu’il n’y a rien de plus divertissant, vu la ruse et les ironies de ce coquin de Geist, le sujet supposé savoir de Hegel. Bon, il y a les morts. Mais personne n’est éternel, n’est-ce pas ? Le Moyen- Âge savait rire de la mort. Et surtout s’en souvenir. Alors que, saoulés de l’eau de Jouvence que nous déversent les pubs, la mort, sa fonction éminente dans le sens – le sens de la vie – nous ne savons plus ce que c’est. Il y a des morts ? On pleure. C’est tout ce qu’on fait. Perte d’une boussole essentielle. Philippe Muray parlait très bien de tout ça. Mais il était ronchon. C’était sa faiblesse. Sollers, lui, salue en riant « le pire des mondes possibles ». Lacan était comme ça.
Toujours est-il que ce triangle d’or Esprit^Le Monde^Le Seuil. a splendidement résisté au temps, il était là au lendemain de la guerre, frais comme un gardon, pas une trace de vert-de-gris, faisant la morale à tout le monde, et il est toujours là, et il sera toujours là, et il sera pro-Roudinesco jusqu’à la fin des temps.
Vingt ans qu’elle tient boutique ! Je veux dire la chronique psychanalytique du Monde. Ceci, d’une main. De l’autre, elle contrôle celle de Libération. Elle ne lâchera jamais, brave petite sangsue ! Néanmoins, mon amie Françoise me dit : « Pourquoi Nathalie Jaudel n’envoie pas son “Roudinesco plagiaire de soi-même” au Monde ou à L’Express ? Les journalistes, Barbier surtout, adorent ce genre d’histoires. » Nathalie, je vous passe le tuyau. Françoise connaît son affaire, mais là, je doute. Barbier, peut-être, sera tenté, car il n’est pas de ce triangle.
Cette rubrique du Monde était tout de même autrement spirituelle quand c’était Roland Jaccard, mon ami mélancolique, qui la tenait. Il était férocement anti-lacanien, d’accord, mais parce que je n’avais pas le temps de lui expliquer le truc. Seulement, il avait du panache, une plume. Elisabeth, elle, c’est écrit comme du Staline, comme un manche.
Attention ! Est-ce la passion qui me fait dire ça ? Je le mets en concours : Elisabeth Roudinesco écrit-elle : a) comme un manche ? b) une branche ? c) une tanche ? d) une planche ? e) une avalanche ? f) une canche ? g) une hanche ? h) une palanche ? i) une tranche ? j) une revanche ?… Revanche ?… Mais oui, bien entendu, elle écrit comme un manche et comme une revanche. Elle a rejoué la manche perdue du vivant de Lacan, elle a eu manche gagnée depuis sa mort, mais maintenant, c’est la balle de match, et elle sait qu’elle a perdu – car elle n’est pas bête, Elisabeth, seulement ignorante et malveillante. Et elle a un culot d’enfer. Je respecte ça, je dois dire, mais ça n’autorise pas tout, et notamment ça n’autorise pas à raconter n’importe quoi sur les moments douloureux de la vie d’une famille. Elle s’était habituée à l’impunité. Elle s’est crue tout permis. Là, elle va devoir s’expliquer sur sa méthode historique. On va rire. Et Onfray, soi-ddisant son ennemi, ne jure que par sa biographie de Lacan, bien entendu.
Onfray, lui, à la différence d’Elisabeth, a de la verve. Mais il n’est pas psychologue. Parce que, étant son hôte, j’ai été poli avec lui, il a pensé que j’étais… quoi ? … un volcan éteint. Là, il ne réplique pas. Mais il devra, tôt ou tard. Et alors, il faudra que je trouve le temps de le… comment a dit Franz pour Freud ?… ah ! le déboulonner. On jouera à ça : déboulonner Onfray. « Le crépuscule d’une idole, Michel Onfray ». Fera-t-on 100 000 exemplaires ? ça fera pleurer dans les chaumières progressistes, mais tant pis. Je vais dire à Gérard de prévenir Mélenchon, qui semble avoir ses faveurs, qu’Onfray est en fer blanc. Je vais le cafter. Melenchon, Onfray défend Charlotte Corday.
Bouh ! revenons à Goya.
Goya produit des « causes de pensée », au sens de : ce qui force à penser. Là, référence obligée à Heidegger – pardon, Blandine – dans son Qu’appelle-t-on penser ?, que tout le monde devrait avoir lu, dirait Sollers. Je crois d’ailleurs que c’est à peu près la seule chose de Heidegger que Deleuze ait commenté avec faveur – dans Différence et répétition, si mon souvenir est bon. Ne vaut d’être pensé que ce qui vous force à penser, ou quelque chose comme ça, très juste. C’est en tous les cas un éloge exceptionnel sous la plume de Deleuze, plutôt porté à se moquer du barde germanique, voir le morceau inénarrable où il compare Heidegger à Jarry – tout à fait dans l’esprit Prosema®.
Que ce matin, Gérard, mon frère, m’apporte la signature de Mélenchon, et que Rama Yade me téléphone – et on va se voir vendredi, quelle chance ! je l’adore, c’est une dérangeuse, comme Lacan… – c’est le signe que Rafah Nached est devenu le symbole de ce qui nous force à penser à la Syrie. Après tout, Lucien de Samosate était syrien, si je ne me trompe.
Vive la Syrie ! Vive Goya !
Et vive la psychanalyse !
APPEL DES PSYS CONTRE MARINE LE PEN
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