LILIA MAHJOUB. Cher Jacques-Alain, voilà ça remue de partout et je savoure cette victoire, la vôtre, et celle de tous ceux qui vous aiment. C’est divin ! Je respire. L’air de l’île de Ré est à Paris. Et le combat continue. Baisers. Lilia

RODOLPHE GERBER. La dernière année de sa vie, Lacan était présent avec une intensité dont aucun mot ne me permet de dire la densité. Il m’avait dit en juillet de venir le 2 septembre. Gloria m’accueillit à la porte avec gentillesse : « Le Docteur Lacan est encore en vacances, revenez la semaine prochaine. » Pas l’ombre d’un doute ne vint embrumer la tresse  de mes espérances; j’en gardais avec certitude le fil d’argent.: Lacan sera là comme Gloria me l’avait dit; Gloria que j’entendais Lacan appeler un jour à haute voix de son cabinet alors qu’il avait devant lui, sur son petit et beau bureau, une assiette  garnie d’un morceau de viande et un verre de vin rouge: »Gloria! c’est bon! » Le premier patient du 9 septembre, qui venait régulièrement à 7 heures, me parla d’une nouvelle entendue à la radio: un grand psychanalyste serait mort.. ; Je refusais longtemps l’évidence, puis je cherchais, des années plus tard, qui pourrait remplacer l’irremplaçable….

GUILLAUME DARCHY. Léna, 13 ans, rentre du collège où elle vient de faire sa rentrée. Elle me demande : « Jacques Lacan ? il est vivant ? » Moi : « On fête le 30e anniversaire de sa mort » -« Zut alors, me dit-elle, la prof de français nous a demandé de citer des auteurs contemporains, et j’ai écrit Lacan. » En 4ème 6 au Collège Carnot de Lille aussi, la rentrée sera lacanienne.

DANIELE LACADEE LABRO. Roudinesco dans Télérama. Son télé-ramage mérite un dé-plumage. Lacan « avait des inhibitions à l’écriture, mais qu’il savait manier le langage avec génie». Mais non, pas du génie, mais de la logique, et une mise en acte de l’instance de la lettre dans l’inconscient. Où sont les inhibitions ? Pas non plus « l’ombre du maître à penser », conjurée par le discours, mais la nécessité que le lecteur des Ecrits y mette du sien. Je passe sur des points plus virulents de cette interview,.

AURELIE PFAUWADEL. Judith Miller est bien vivante – pour ceux qui sont amenés à la rencontrer dans le cadre du Champ freudien, nul besoin d’attendre la juste colère et l’acte de courage dont elle fait preuve dans Le Point de ce jour pour s’en apercevoir. Je regrette seulement que les journalistes, Christophe Labbé et Olivia Recasens, dessinent la cartographie du conflit dans les termes mêmes qu’E. Roudinesco utilise dans sa biographie, par exemple quand elle met en parallèle l’IPA et l’AMP, affirmant : « Tous deux ont pour point commun d’être légitimistes, c’est-à-dire légalement et familialement dépositaires d’une image officielle du mouvement, de sa doctrine, de sa pratique. » Ce « légitimisme millérien » consisterait essentiellement, selon elle, en un « embrigadement doctrinal ». On ne sait pas où ces journalistes sont allés pêcher que, depuis la mort de Lacan, il existerait « deux courants qui, depuis le schisme, se disputent » son héritage intellectuel. Deux courants ? Seulement ? Les millériens et les « roudinesquiens » ? Cette relecture duelle de l’histoire du lacanisme depuis 30 ans est loufoque.

Le titre de l’article, « La fille de Lacan entre en guerre », met pourtant bien l’acte du côté de J. Miller : c’est elle qui met le feu aux poudres et provoque E.R. en duel, affichant sur sa belle photo le sourire serein de la guerrière appliquée. Alors, pourquoi dire que E.R. aurait à elle seule un quelconque pouvoir d’« embraser la planète lacanienne » ? Le film nous est projeté ici la tête en bas, comme dans une camera obscura. Judith Miller n’en gardera pas moins la tête droite – en allant jusqu’au bout.

YVES VANDERVEKEN. La question du moment : « Que reste-t-il de Lacan ? » L’énoncé même suggère qu’il n’en resterait… que des restes. Cette thèse explicite est relayée par une sphère académico-politico-éditorialo-o-o, dont on aperçoit bien les contours. Les formes sont certes différentes, qui vont de savante à pitoyable et à futile. Il n’y a que deux possibilités. Ou bien il s’agit de tuer, effacer quelque chose dont il reste justement trop – dépassionner, en finir avec, et tous ses rejetons. Ou il y a là une cécité qui ne peut s’expliquer que par le fait d’être – ne fût-ce qu’un rien – trop peu en prise directe avec une réalité concrète de terrain, dirai-je.

Car enfin, ce sont aujourd’hui des milliers de praticiens qui s’appuient et trouvent à s’orienter, à des titres divers, tous les jours, à travers l’Europe et au-delà, dans leur formation et leur clinique, comme on dit (et ce dans des secteurs bien divers) sur l’enseignement de Lacan, grâce à celui qui nous apprend à le lire, Jacques-Alain Miller. Parce qu’eux – confrontés au réel de cette clinique – savent bien in fine que c’est là qu’ils trouvent matière à s’orienter de façon authentique. Sans faire l’impasse sur l’inconciliable et l’incurable. Ils savent – parce qu’ils l’éprouvent – la forfaiture des orientations complètement détachées de l’humain dont la sphère vante et appuie l’imposition. Tout, simplement, ce vent qu’on nous vend… ils en voient tous les jours l’imposture.

Et ces praticiens, c’est par centaines qu’ils témoignent de leur pratique et de ses effets qu’ils interrogent sans cesse. C’est sur ce terreau-là et celui de l’enseignement de Lacan et de Jacques-Alain Miller que des concepts sont travaillés, étudiés, remaniés. Que de nouveaux en émergent, là en prise directe avec ce réel. Des congrès scientifique bondés. Des publications, des revues, nombreuses, en témoignent. Certaines se vendent à hauteur de deux mille à trois mille exemplaires – et ceux qui travaillent dans le milieu de l’édition savent, pour une revue, ce que cela signifie. Outre ceux déjà cités dans LQ, deux, trois exemples. En langue française. Pas au hasard, mais parce que je m’y suis trouvé ou y ait été directement impliqué, et que je peux donc témoigner à partir de là.

Quarto, (Revue de psychanalyse publiée à Bruxelles) n° 94-95: « Retour sur la psychose ordinaire ». Presque 3000 ex. vendus. Des chercheurs, cliniciens, analystes, psychologues, philosophes, enseignants, universitaires (y compris américains), etc. y interrogent comment le concept de psychose ordinaire, inventé par Jacques-Alain Miller à partir du dernier enseignement de Lacan, vient résonner avec un réel de leur domaine. Et dans la foulée réinterrogent le concept même. Dix ans de travail de toute une communauté de recherche.

Mental, revue vraiment internationale, de l’EuroFédération de Psychanalyse. Numéro 26, « Comment la psychanalyse opère ». Des praticiens de l’Europe entière témoignent. Son prochain numéro aura pour titre : « La santé mentale existe-t-elle ? » Plus de 120 interventions, du monde entier, issues du Congrès au même thème, à Bruxelles ! Etc.

Je paraphrase Sollers : Des citations comme preuves !

 

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