À VOIX NUE, LA SEMAINE DERNIÈRE par Deborah Gutermann-Jacques

Cinq émissions, cinq rues, cinq fois la rencontre de Martin Quenehen et de Jacques-Alain Miller sur les ondes de France Culture la semaine dernière. « A voix nue », beau titre d’émission pour ces entretiens au long cours, où la parole prend le temps de se délier, de laisser affleurer une vérité qui, sans se laisser toute dénuder, consent à surgir, dans l’intimité de la conversation et pour l’auditeur. De l’enfant du Marais à l’analyste et la rue Huysmans, la topographie fait advenir un Jacques-Alain Miller privé.

Si l’intime se dit là, c’est que le moment est venu. C’est un effet de l’interprétation. Lorsqu’à la mort de Lacan, en 1981, un analyste avait dit quelque chose comme « dans quinze jours la psychanalyse n’entendra plus parler de Jacques-Alain Miller », il dit « Banco » et se fait analyste. Il crée L’Association Mondiale de Psychanalyse. Trente ans plus tard, elle rit des « quinze jours ». C’est un pied de nez. C’est la claque assénée au fossoyeur par le désir vivant. En 1968 déjà, lorsqu’un de ses collègues de l’université de Besançon avait eu la bonne idée de prendre les pauvres en otage de son mépris et entendait leur faire porter le chapeau d’une révolution avortée, le tribun s’était fait entendre. L’apparatchik avait réveillé le révolutionnaire. Et le jeune professeur avait pris fait et cause pour un mouvement qui tirait une légitimité nouvelle à ses yeux de ce qu’il était pris en inimitié par les « endormeurs ». « Contre les scélératesses des tyrans et de leurs amis, il ne nous reste d’autre ressource que la vérité et le tribunal de l’opinion publique, et d’autre appui que les gens de bien (1)», s’exclamait Robespierre, le 1er juillet 1794 devant la Convention. Celui qui a gardé le portrait de l’Incorruptible sur sa table de chevet aussi longtemps qu’il est resté chez ses parents faisait siennes à l’époque quelques-unesde ces maximes et aujourd’hui, elles prennent encore une saveur nouvelle.

Lorsque le vœu d’effacement affiché ressurgit, plus puissant, trente ans après la mort de Lacan, Jacques-Alain Miller dit à nouveau « Banco ! ». Celui qui n’avait jamais éprouvé le besoin de recueillir le « pourboire publique »  – et comme Monsieur Teste, l’alter ego de Paul Valéry, laissait les faux héros s’enorgueillir de leur nom – entre dans l’arène médiatique. Le nom qui est le sien et qu’il défend est une création. C’est JAM, des initiales, un acronyme inspiré par Federico Garcia Lorca et adopté à 16 ans, à Louis-le-Grand, lorsque le lycéen arrive rue Saint-Jacques. C’est avec les initiales JAM qu’il signera ses articles des Cahiers libres pour la jeunesse dont il prend bientôt la direction. La rue Saint-Jacques mène à la rue d’Ulm, et là à la rencontre avec Lacan, puis avec Judith, sa fille. Le souvenir d’un poème de René Char lui revient tandis qu’il s’entretient avec Martin Quenehen. Il s’émeut de ce souvenir. Et comment ne pas ? Il émeut les auditeurs habitués à un JAM travailleur de concepts arides et polémiste joyeux. Du rire aux larmes, et retour. Le poème est beau. Sa lecture, incarnée. La radio, cinq fois la semaine dernière, fut habitée.

(1) Robespierre, Pour le bonheur et pour la liberté, discours, Paris, La Fabrique, 2000, p. 327.

Paru dans le N°72 de Lacan Quotidien 

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