Consentir par Xavier Gommichon

M. m’avait adressé un SMS me disant qu’il allait très mal et qu’il ne pouvait pas venir à sa séance. Il s’en remettait lentement.La séance suivante il m’expliquait : ce matin là en se levant il avait fait une « crise de délire » brutale et insupportable. Un délire qu’il qualifie lui-même de « paranoïaque », comme il n’en avait pas fait depuis longtemps. Il restait toutefois très allusif dans ses propos, sans décrire la teneur de cette paranoïa. Tout cela relevait de l’indicible.

Deux solutions s’offraient à lui, poursuivait-il. La première, se suicider. La voie que son père avait choisie lorsqu’il était enfant.

La seconde, faire appel à moi pour une hospitalisation en urgence. Mais ma place était pour le moins ambiguë.  M. me fit comprendre que, partie prenante du délire, je pouvais mettre en place une mesure de contrainte, voire requérir un tiers persécuteur. Le cauchemar deviendrait alors réalité.

Une autre raison excluait la solution médicale : il ne pourrait se rendre à son travail le lendemain et risquait de perdre le bénéfice recherché depuis tant d’années dans sa cure.

Il opta pour une troisième solution : se rendre à son poste dans cet état. Ce qu’il fit, après une nuit très pénible m’assurait-il. Epuisé physiquement et moralement, il assura son service toute la journée suivante.

A ma demande de savoir si son délire avait disparu et quand, il m’assura que cela se produisit le jour même de cette reprise du travail. Aujourd’hui l’incident était clôt et il ne pouvait en trouver la cause.

M m’avait demandé, quelques semaines plus tôt, de cesser un traitement qu’il prenait depuis plusieurs années pour des idées envahissantes de suicide et d’auto-accusations. Certes, ces idées avaient cessé depuis longtemps. Surtout, j’avais acquiescé et pris acte de sa volonté  de « conduire son destin », sans aide chimique, et qui allait de pair avec ce poste à responsabilité qu’il soutenait avec ténacité.

J’ai relevé ce point qui a créé pour moi un élément de surprise : la capacité de circonscrire un événement de corps dans les limites de ce que le sujet nomme « sa volonté ». Ce que j’interprète comme une limitation de jouissance consentie. C’est à ne pas consentir à la jouissance du délire que M a pu traverser cette paranoïa. Acte dont on voit qu’il n’est pas fortuit mais le résultat d’un choix « raisonné».

M me donnera plus tard une autre version de sa capacité de limiter cette jouissance, mais bien antérieure à notre rencontre. Il se rappelle que, à partir de l’age de 8 ans, il était soumis à des hallucinations auditives dans certaines circonstances (lorsqu’il était seul, notamment). Il décrit très bien le « glissement progressif » qui s’opérait dans le phénomène, entraînant tout son être dans la contemplation d’un objet insignifiant jusqu’à « l’engloutissement total ». Et plus il tentait d’y résister, plus  sa « pensée » était envahie de la voix de sa mère. L’hallucination avait alors ce caractère inévitable auquel il ne pouvait échapper.

Il avait alors développé une technique, qui consistait à ne pas lutter contre le phénomène, mais à se laisser dériver jusqu’à ce que l’épisode s’épuise de lui-même.

Pour autant, les deux positions ne sont pas équivalentes et M ne s’appuie pas sur la première – qui relève de l’« insu » d’un savoir faire avec la jouissance sur un mode passif – pour soutenir la seconde. Il s’agit bien, ici, d’une affirmation du sujet par le biais d’un refus de l’inévitable.

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