Les nœuds d’écoute de BHL (2*) par Éric Laurent

Il y a de multiples facettes de l’Inconscient selon BHL. Il y a l’inconscient des sujets, l’inconscient des ‘’institutions’’, l’inconscient ‘’des peuples’’. Quelle que soient les formes qu’il revêt pour mériter le titre d’inconscient, il est fait de discours, qui se poursuivent à l’insu de ceux qui les traversent ; ou de manques dans les discours qui trahissent un trauma. L’inconscient est noué aux identifications et les faits de discours sont noués au corps. On en voit une belle notation dans le repérage d’une identification du sujet. Le Président du livre de BHL traverse un moment d’abattement passager à un moment crucial. L’auteur repère aussitôt une étrange identification à une voix : « Il a emprunté dans le savoir pour résister à ce moment d’abattement  qui ne lui ressemble pas, une voix qui lui ressemble encore moins. » L’auteur parle avec l’ironie mordante qu’il faut de l’inconscient ‘’des institutions’’ dont il fait l’expérience cuisante. Il désigne par là le discours sans véritable auteur, bien qu’il ait un responsable, dont l’accable tel ou tel agent de l’establishment des ministères, pour dénigrer son action et la calomnier. Lorsqu’il parle d’inconscient ‘’des peuples’’, il s’agit de fragments de textes, condamnés, non disponibles, refoulés et qui pourtant sont présents dans le discours courant. Il en voit l’exemple dans les pamphlets céliniens. « Qui sont ces êtres sans scrupule, ces monstres assoiffés de sang, qui nous ont mis dans de ‘’beaux draps’’, qui officient à ‘’l’école des cadavres’’ et pour qui le massacre de peuples innocents n’est qu’une ‘’bagatelle’’ ? Les pamphlets céliniens ont beau être interdits depuis soixante ans, jamais réédités, coulés dans le béton de la réprobation et de la censure, tchernobylisés : l’extraordinaire est qu’ils soient là, vivants comme au premier jour». Il parle de cette présence fantomatique au séminaire de Julia Kristeva à la veille de repartir en Libye.

Si BHL croit à l’inconscient et au signifiant maître, à la fonction créatrice du ‘’fiat’’ politique, il n’idéalise pas pour autant les acteurs du discours. Alors qu’après sa mort, Richard Holbrooke est devenu une sorte de saint que chacun se glorifie d’avoir fréquenté, il le fustige pour sa désastreuse partition de la Bosnie à Dayton, au nom d’un communautarisme ethnique.

L’inconscient politique comme un texte avec fantômes fait résonner la façon dont BHL compose les textes qu’il rédige pour ceux à qui il prête sa plume, comme le CNT à ses débuts où son président  Jibril lui même. Alors que le Président de la République lui fait entendre le besoin d’un appel, d’un manifeste pour soutenir son action, il le rédige, le titre, et l’envoie pour accord à Jibril. Celui-ci, très subtilement, rajoute une phrase au début du texte, qui le met parfaitement en perspective « Cher BHL. Permettez que, une fois encore, je passe par vous, vous qui nous avez fait le premier, approcher les Président Sarkozy, pour lui délivrer le message suivant… »

On voit que cette incise est rédigée par un homme de loi. Le texte lui-même au delà de sa signification de manifeste d’une « Libye libre qui reconnaît le rôle proéminent de la France » résonne par les effets de citation choisis qui l’animent. Le rôle de l’aviation dans la guerre est salué avec les mots de Winston Churchill lors de la bataille d’Angleterre et le texte se termine comme les discours de De Gaulle par le vibrant « Vive la Libye libre ! ». La résonance de cette guerre avec la guerre contre le fascisme est assumée. On assistera, au long du livre à la greffe d’un discours sur un mouvement qui en manquait singulièrement. Ce programme s’accomplit pour le lecteur en même temps qu’il est énoncé. « Le comble de l’épique ce n’est pas de célébrer les personnages officiellement épiques, mais de traiter épiquement les personnages  infimes, sans trace, sans archive, dont la mort même ne dérangera en rien l’ordre du monde. »

Pour mettre au point ce discours, BHL ne cesse de faire parler les personnages ‘’infimes’’ ou bardés de titres ‘’membre du CNT et président du Conseil des Sages et des dignitaires’’ pour en extraire leurs fantômes. «  Je veux tellement…pouvoir répondre aux Cassandre qui vont partout, glosant sur le CNT inconsistant, sans discours… ». La ‘’bande son’’ qui se construit alors noue la langue des interviewés, entendue au delà des préjugés du discours courant, et les résonances des textes que l’auteur veut greffer sur le mouvement en construction.

Ce nouage est en acte un refus de la fatalité des communautés et des identifications préalables. Le droit d’ingérence pour lequel plaide BHL depuis plus de trente ans, n’est-il pas le droit d’ingérence de l’Autre préalable dans tout discours comme inconscient. BHL, qui se veut l’interlocuteur du monde musulman, celui qui est soucieux des gestes à accomplir envers le monde musulman, celui qui a mis son « point d’honneur…à ne pas penser selon ma souche et, là encore, à tendre la main ». Au fond, c’est moins au nom d’un universel facile (Milner) qui permettrait d’écraser les différences, qu’au nom d’une sensibilité à l’inconscient comme ‘’discours de l’Autre’’ qui peut permettre des écarts inattendus et de tirer part des événements comme des traumas ébranlant les discours figés. « Cette façon dont les événements, les vrais, pas les événements en peau de lapin platonicien, … les événements réels ont de fonctionner comme des opérateurs de vérité, des révélateurs d’inconscient politique, des facteurs de divisions ou de rapprochements inattendus. » L’accompagnement de ces événements se fait non seulement en refusant l’injustice de l’assignation à demeure, mais surtout en faisant fonctionner en acte le vide qui est au delà de toutes les identifications possibles.

*Retrouvez la première partie de la Chronique d’Eric Laurent, en cliquant ici.

Publié dans le N°93 de Lacan Quotidien 


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