La Soucoupe : Un nouveau lieu d’accueil pour enfants autistes à Bruxelles

 

Marie Bremond

Des week-ends très longs

Samir, 8 ans, est diagnostiqué autiste depuis ses 4 ans. Inscrit en semaine dans une école pour enfants autistes de la région bruxelloise, il y reçoit un enseignement spécialisé, avec quelques outils de la méthode TEACCH notamment.

A la maison, les week-ends sont longs. « C’est la crise » quand on annonce un programme et que cela ne tourne pas comme prévu. Les parents me confient qu’il est encore plus dur d’interrompre Samir dans son activité sans qu’il ne s’automutile. Ils sont tout à fait au point sur les différentes techniques intégratives, ils ont tout essayé, la méthode du bac à sable, les méthodes comportementales, l’équithérapie, etc., et maintenant ils me rencontrent. Ce qu’ils ont compris, c’est que leur enfant indique tout de suite s’il ne sent pas bien avec telle ou telle personne, si il ne se sent pas assez libre de pouvoir suivre certaines de ses envies, et c’est cela qui les oriente dans leur choix d’école ou d’activité. Aujourd’hui, il a une maîtresse à laquelle il est très accroché. Les parents ont aussi réalisé à un congrès organisé à Bruxelles que les causes de l’autisme restaient inconnues selon une chercheuse russe, et qu’il fallait bien se rendre à l’évidence que ça ne réglerait pas tout d’en trouver finalement la cause.

 

 

La Soucoupe, nouveau lieu pour « aider » Samir

Samir se précipite sur le baby-foot, et très vite je comprends qu’il ne souhaite pas jouer avec moi, mais seul ! Il jouera seul également à Puissance 4. « Laisse moi tranquille » profère-t-il, « laisse-moi!! ». Nous sommes à la Soucoupe. Comme tous les samedi après-midi depuis mai 2011, un petit groupe d’enfants autistes se retrouve dans un lieu, pour explorer, déployer un savoir-faire, sans programme anticipé. Ils sont accompagnés dans leurs recherches créatives par une équipe de bénévoles passionnés travaillant par ailleurs dans différentes institutions d’orientation psychanalytique accueillant des enfants autistes en semaine.

Je reste près de Samir, son impératif ne se négocie pas, donc je ne lui parle pas, sans  pour autant sortir de la pièce, occupée avec une autre enfant.

Pour passer à une activité sportive, il faut monter un gonfleur et gonfler le ballon. Samir se précipite sur le gonfleur, il passera trente minutes à monter le système, assez complexe, étant moi-même totalement inefficace. Sa patience est exemplaire. Il tente de souffler, s’épuise et il me dit haut et fort, sans hurler:

– « Aidez-moi! ». Alors, je lui demande s’il sait qui je suis.

– « Non. » répond-il, alors qu’il me rencontre pour la troisième fois.

– «  Je suis Marie. »

– « Aide-moi Marie! » répète-t-il, éreinté. Il me tend le tuyau, nous alternerons nos deux souffles.

 

Une patience incroyable

A l’école il est dit de Samir qu’il doit décider, et qu’il peut s’énerver quand il n’arrive pas à réaliser un objectif. Je comprends à cet instant que Samir aime monter, emboîter les pièces d’un objet, et qu’il ne s’énerve pas quand il s’agit d’un objet qui semble l’intéresser.

Une fois notre parcours réalisé, Samir me demande de l’aide pour marcher sur la poutre, il me nomme, et sourit, il est concentré, et aime s’aventurer, aérien, sur ce parcours. À ma grande surprise, il accepte sans difficultés que la répétition du sport cesse, quand nous proposons une ballade extérieure.

Dans les rues de Bruxelles, les tags imprimés sur les murs de la ville tracent l’itinéraire de Samir, il suit les écritures avec son doigt, le rythme de notre ballade s’adapte au temps de son tracé, à son observation minutieuse de chaque tag. Une fois arrivés au parc, je propose à Samir de poursuivre notre parcours sur les rondins de bois, il s’y prête volontiers. Encore une fois, il me demandera de l’aide, puis s’arrête soudainement, me regardant pour la première fois pour me dire: « Ça va toi ? ».

Quand nous revenons, sa mère l’attend. Je lui explique que Samir aime monter, emboiter, comme dans l’exemple du ballon, et qu’il était d’une patience incroyable. La mère ajoute que depuis un mois, il est plus calme à l’école. Elle me demande comment faisons-nous pour qu’il ne se mette pas en crise, elle me demande si nous ne pourrions pas communiquer à l’école certaines de nos « techniques ». Nous parlons un peu, j’apprends que Samir est passionné par les animaux, qu’il va au zoo tous les dimanches avec ses parents, et qu’à chaque période de vacances, ils choisissent une destination d’hôtel proche d’un zoo pour s’y rendre chaque jour. Pendant cette conversation, Samir arrive et vient montrer à sa mère le ballon de gym qu’il a gonflé.

Un lieu « pour s’amuser »

La Soucoupe existe parce que des parents nous confient leurs enfants de manière régulière le samedi, la confiance est établie. Ils connaissent notre orientation, ils savent que nous n’utilisons pas des méthodes qui visent l’adaptation à une norme (avec ou sans punition), ils savent que nous tentons de suivre un rythme, une énonciation qui surgit, une passion qui se dégage, de faire avec les refus et leurs variantes.

Pour Samir, nous avons appris à entendre ce qu’il nous disait avec son « aidez-moi » : ne vous avisez surtout pas à m’apporter une autre aide que celle qui est au service de la contrainte qui s’applique pour moi à toute chose. C’est dans cet « ordre dur » que nous avons cherché à apporter des petits déplacements en nous y logeant : je lui demande s’il sait comment je m’appelle, je réponds à son aide sans ajouter des conseils qui pourraient lui apparaître à nouveau comme une contrainte, une demande. Parcourir la ville à sa mesure, en suivant un tracé, puis des rondins de bois sur lesquels il marche permet qu’il se saisisse de notre aide, qu’il nous inclue à minima dans son monde. C’est à la condition qu’il se crée un itinéraire balisé singulier, qui oriente son corps dans l’espace, qu’il pourra consentir à suivre le groupe sans encombre.

Pour les parents, c’est tantôt simplement pour trouver à souffler eux-mêmes, tantôt un choix d’approche, ou enfin dans une « complémentarité », comme ils le disent, avec des écoles notamment TEACCH, qu’ils souhaitent inscrire leur enfant chez nous. C’est de cette manière qu’ils traitent parfois leur désespoir, leur impuissance, ou leur colère, et qu’ils constatent que leur enfant peut aussi venir pour « s’amuser ».

 

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