CHRONIQUE d’Éric Laurent

Errements de la HAS : ignorance des études à long terme et de la sexualité, survalorisation de l’ABA, non-reconnaissance de la pédopsychiatrie.

 

Un Communiqué de la Fédération française de Psychiatrie-Conseil National professionnel de psychiatrie (FFP-CNPP), signé par sa présidente actuelle, le Docteur Nicole Garret-Gloanec, les anciens présidents et les présidents d’associations membres de ce Conseil, daté du 27 mars, répond à la question : « Pourquoi la FFP-CNPP ne signe-t-elle, qu’avec des réserves majeures, la recommandation sur les interventions éducatives et thérapeutiques chez l’enfant et l’adolescent avec autisme ? ». Ce communiqué vient à la suite de la Conférence de presse qui avait suivi la publication de la recommandation, le 15 mars. La FFP-CNPP rassemble en son sein un très grand nombre de sociétés scientifiques nationales et régionales (soit directement, soit par l’intermédiaire de ses sociétés membres), tous les organismes agréés pour l’EPP en psychiatrie par la HAS (sauf un)… La plupart des syndicats ont rallié la FFP-CNPP afin de mettre en place concrètement ce CNPP, c’est-à-dire tous les syndicats de psychiatres libéraux, la quasi-totalité des syndicats de psychiatres publics, le syndicat de psychiatres salariés, soit 6 syndicats sur les 8 que compte la psychiatrie française. Comme on le voit, c’est un conseil scientifique et syndical très vaste. Parmi les anciens présidents, on trouve aussi bien J.-F. Allilaire que H. Bokobza, H. Loo ou encore J. Garrabe et J-M Thurin. Le CNPP est en train de modifier ses statuts pour inclure en son sein les dissidents du CNQSP (Conseil National pour la Qualité des Soins en Psychiatrie) fondé il y a deux ans. Lire ce communiqué permet de décrypter ce qui guide l’action d’une organisation qui a vocation au consensus, face à l’offensive HAS.

Il commence par « saluer l’ampleur du travail » en s’inquiétant tout de même des tentations de séparer le champ de l’autisme du champ de la pathologie générale avec les phénomènes bien connus de type « déshabiller Pierre pour habiller Paul » : « Nous rappelons la nécessité de moyens adéquats et de l’équité des soins pour l’ensemble des enfants/adolescents sans discrimination selon les pathologies ».

Les « réserves majeures » sont essentiellement au nombre de trois. Elles portent d’abord sur l’extension de la notion d’autisme retenue par la HAS « avec des niveaux de gravité très étendus. Cette dimension extensive invalide la revendication du caractère scientifique des études, fait disparaître la véritable complexité du thème ». La HAS n’est pas le lit de Procuste, mais celui de Houdini. En étendant le « spectre », elle fait disparaître l’hétérogénéité de la catégorie.

La seconde objection porte sur l’utilisation d’études « limitées à l’analyse comportementale. Les approches fragmentées, dans une perspective de compensation du déficit et de notion d’entraînement, sont survalorisées avec une insuffisance de considération de l’aspect multifocal et multidimensionnel ». On retrouve là le reproche plus général du biais des preuves dans l’Evidence Based Medecine. Les traitements fondés sur une intervention simple, fragmentée, découpée, sont toujours favorisés au dépend d’interventions complexes, plus difficiles à mesurer.

Vient ensuite, un point décisif : « l’absence de référence à la pédopsychiatrie négligeant l’inscription de la recommandation dans la réalité française de la prise en charge des enfants autistes… La remise en cause, non explicitée, dans le même paragraphe, des approches psychanalytiques et de la psychothérapie institutionnelle procédant plus d’une prise de position que d’une analyse scientifique ». Cette « prise de position » est une litote, trope habituel des vastes organisations. Bien entendu, la FFP a reconnu l’intention de tout un clan qui cherche à modifier radicalement la spécificité de la pédopsychiatrie française, produit de son histoire. L’hubris de ce groupe est exprimée avec netteté par Jean Cottraux dans un autre contexte : « C’est surtout le cas de la pédopsychiatrie qui se trouve dans un état lamentable. Elle est totalement sous l’emprise du terrorisme intellectuel de la psychanalyse. »

Face aux recommandations de la HAS, la FFP-CNPP répond par de modestes préconisations. Elle préconise une prise en charge « multifocale, pluridisciplinaire s’appuyant sur des théories et des pratiques diverses dont les neurosciences, les sciences cognitives, développementales, comportementales, et la psychanalyse dans une dimension intégrative ». Au delà de cet œcuménisme du multi, tout le problème du conflit se déporte vers la recherche de cette « dimension intégrative » qui reste à définir. Dans ce communiqué,  cette dimension est définie comme ce qui peut se mesurer d’une approche pluridisciplinaire et multifocale. C’est pourquoi elle insiste sur la nécessité d’inclure dans les études « des recherches cliniques longitudinales à partir d’études approfondies de cas » et la prise en compte « des résultats de la recherche menée par la FFP-CNPP en collaboration avec l’Inserm sur les psychothérapies d’enfants autistes ». Un appui à la recherche de Pierre Delion sur le Packing dans certaines indications précises est formulé. Le problème, bien sûr, est que les « pouvoirs publics » ainsi sollicités, tant que leur voix est celle de la HAS, ne veulent précisément rien savoir de ce qui ne permet pas de mettre au pas la pédopsychiatrie française. Tout ce qui pourrait soutenir le bien-fondé des pratiques actuelles et faire apparaître leur efficacité doit être écarté pour seulement retenir ce qui dénigre et affaiblit. Comme il n’y a, par définition, pas d’études du NIMH américain ou du NICE anglais qui valoriseraient la pédopsychiatrie française, on pourra continuer ainsi à jouer du « retard français ». Actuellement, aucune étude de longue durée portant sur l’efficacité des psychothérapies n’est envisagée dans ces pays en raison des restrictions massives de crédit. Dans ce contexte, on peut douter que la demande de la FFP, adressée « aux ministres concernés, aux pouvoirs publics et aux responsables institutionnels, d’avoir publiquement un discours fondé sur une connaissance des structures officielles de la pédopsychiatrie et médico-sociales », sera exaucée.

Une « lettre ouverte au président de la HAS » a été aussi rendue publique cette semaine. Elle est écrite par le médecin directeur du Centre Françoise Grémy et de l’Unité Mobile pour les situations complexes en Autisme et TED de Paris, de l’Association l’Elan retrouvé, Moïse Assouline. L’importance du pôle autisme de cette association va au-delà de la centaine de places en hôpitaux de jour dont elle dispose en région parisienne. Ce pôle « a anticipé, et dans certains domaines va au-delà des recommandations qui ont été présentées ». Il incarne en cela le bon exemple auquel la HAS faisait référence. Le représentant de ce pôle autisme a participé à toutes les élaborations de la politique de santé sur l’autisme depuis 20 ans. Depuis l’existence du « Comité national autisme » (CNA), il y participe intuitu personae depuis 2007. C’est donc à titre personnel que ce membre éminent du CNA s’exprime. Il souligne dans une première partie que la recommandation est une « avancée réelle » pour une raison juridique. Elle met au centre du soin non pas l’intérêt des institutions mais celui de l’enfant autiste. Il connaît de l’intérieur l’échec de la mise en place « de réseaux gradués et coordonnés articulant les soutiens soignants, médico-sociaux et scolaires dans tout le pays… la coordination reste entravée par le poids des cultures de service, les cloisonnements de compétences professionnelles et des rivalités de bureaux ». Il se réjouit donc de la volonté de faire exister un nouveau droit : « le droit de la personne autiste à un parcours coordonné », avant tout accord institutionnel. C’est, dit-il, « le point fort de la recommandation et la raison de (son) approbation ». On pourrait objecter que si l’effet produit est le même que celui qui a eu lieu lorsque l’enfant a été mis « au centre » du projet scolaire, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Il dénonce ensuite la simplification abusive qui consiste à donner une domination à la perspective éducative et comportementaliste ABA. Elle produit de l’exclusion : « Contrairement à ce qui est suggéré dans la recommandation, le comportementalisme rencontre les mêmes difficultés que les autres approches. Un IME expérimental ABA a pu appeler les pompiers pour exclure vers son domicile un enfant de huit ans. Réquisitionné, il a demandé l’aide de la pédopsychiatrie pour pouvoir le réintégrer… et il y a des adultes entre 20 et 30 ans qui, bien que n’ayant connu que des prises en charge comportementales depuis l’enfance, sont exclus définitivement de leur propre centre ». C’est pourquoi il demande l’introduction d’un nouveau droit qu’il appelle bizarrement « droit au retour », qui protègerait le principe du service public du soin, et la mission de la pédopsychiatrie. Ce que ne prend pas en compte l’exigence éducative.

Il s’oppose aussi à la « recommandation explicite de punitions comme méthodes comportementales dont la validité serait « solide » et « robuste », malgré le nombre infimes de cas étudiés, l’absence de groupes témoins et d’observations de longue durée » et la « valorisation sans mesure de l’ABA » ; et aussi à la « seule mention des SESSAD comme soutien à la scolarisation des jeunes autistes », alors qu’une « proportion importante des hôpitaux de jour et IME font cet accompagnement en classe ordinaire pour de bien plus nombreux enfants ». Il est ensuite « stupéfié » par la « timidité » voire « l’indigence » de la recommandation devant la question de la sexualité des jeunes autistes. « Cette indigence de la recommandation n’est sans doute pas sans rapport avec la disqualification que l’HAS a voulu exprimer pour la psychanalyse « comme prise en charge de l’autisme ». Il demande donc que la HAS « surmonte dans son comité de rédaction une alliance dogmatique et arriérée entre quelques parents intraitables et des scientifiques qui semblent avoir peur du sexe ».

Il conclut sur « l’erreur méthodologique sérieuse » de la HAS. Elle a « confondu le rapport aux protocoles (l’intention de mesurer, la description des procédures et la mise en œuvre des observations) avec les résultats cliniques, souvent indigents ». Dans les termes de Michel Houellebecq, la HAS confond la carte avec le territoire. Si l’on suit le diagnostic du romancier, elle n’est pas la seule dans ce cas. Ce n’est pas une raison suffisante pour accepter les monstres que le sommeil de la raison engendre.

Tagged with:
 

Comments are closed.