Autisme : l’approche clinique de Léo Kanner

serait-elle considérée comme « non pertinente » aujourd’hui ?

Marco Mauas

Part I.

Une lecture du texte princeps sur l’autisme de Léo Kanner1  peut, encore de nos jours, surprendre. Il s’agit de la description de 11 enfants. « Each case merits—écrit-t-il à la troisième ligne—a detailed consideration of its fascinating peculiarities. » Les détails de sa considération clinique sont délicats.

▪ Dès le premier cas, le cas de Donald (âgé de 5 ans, « Don »), on peut distinguer le dit, répétitif, rituel, qui pourrait être la cible, le leurre pour essayer des récompenses et des châtiments, appliqués au dire :

« He used the personal pronouns for the person he was quoting, even imitating the intonantion. » (souligné par MM).

Un autre exemple :

« The word « yes » for a long time meant that he wanted his father to put him up on his shoulder. This had a definite origin. His father, trying to teach him to say “yes” or “no”, once asked him, “Do you want me to put you on my shoulder”?

“Don expressed his agreement by repeating the question literally, echolalia-like. His father said, “If you want me to, say “Yes”; if you don’t want me to, say “No””.

“Don said “yes” when asked. But thereafter “yes” came to mean that he desired to be put up on his father’s shoulder.” (Souligné MM).

“Thereafter…came to mean”, c’est le temps subjectif du cas « D », dans la description clinique de Kanner. C’est un « thereafter » très différent du « avant » et du « après » de l’évaluation des résultats des approches, cliniques ou autres, de ce qu’on appelle « autisme ». Je veux seulement remarquer que le « But thereafter came to mean… » peut-être facilement considéré  comme « non pertinent », puisque le désir du clinicien, Kanner en ce cas, se limite à signaler, sans juger. C’est seulement signalé. L’accent sur le dire barre l’attention sur le « after » souhaité, par une approche autre, plus guidée par le « carrot-stick» que par la clinique.

 

▪ Le second enfant est le cas Frederick (âgé de 6 ans). Une phrase de Kanner :

« The most striking feature in his behavior was the difference in his reactions to objects and to people. Objects absorbed him easily and he showed good attention and perseverance in playing with them. He seemed to regard people as unwelcome intruders whom he paid as little attention as they would permit.” (Souligné par MM)

“As they would permit” c’est l’espace du dire, c’est une condition, ouverte, du cas Frederick dans la description de Kanner. Dans la méthode ABA, on cherche à capter l’attention de l’enfant comme une cible. La condition clinique temporalisée par le conditionnel, « as they would permit », c’est-à-dire une variable grâce à laquelle on peut écouter et lire le dire de l’enfant, peut être considérée comme « non pertinente ». C’est une mesure subjective, intime, de l’enfant, qui est retournée comme un gant en une mesure de l’efficacité. « We won’t permit, with carrot or stick.». Disparition du « as » (« dans la mesure subjective de… »), de l’espace de l’écouté et de la conversation.

▪ Voyons le troisième enfant. Richard M. Deux ponctuations cliniques de Kanner :

« When started for the examination room, he screamed and made a great fuss, but once he yielded he went along willingly.”

Ici je noterai que le “yielded” (céder) n’est pas ce qui intéresse l’œil du clinicien, il est même secondaire. Une fois qu’il cède sur ce « great fuss », on trouve le « willingly », c’est-à-dire que le sujet n’était pas là. Céder n’est pas forcément un indicateur tellement précis de « avant-après ».

La découverte de ce qu’on appelle aujourd’hui « autisme » est le résultat d’une manière de procéder, de noter, de ponctuer, d’écouter, qui serait considérée peut être aujourd’hui comme « non pertinente ».

Seconde ponctuation clinique de Kanner que je veux souligner. « The mother felt that she was no longer capable of handling him, and he was placed in a foster home near Annapolis with a woman who had shown a remarkable talent for dealing with difficult children. Recently, this woman heard him say clearly his first intelligible words: “Good night” “.

On peut longuement discuter la pertinence de ce que veut dire “a remarkable talent for dealing with difficult children”. Mais c’est cette femme qui écouta et aussi put transmettre « for the record » les premiers mots intelligibles. Il est également remarquable que ces mots constituent aussi la fin de la description du cas Richard M. Good night, Richard.

▪ Le cas n°4, Paul G, (âgé de 5 ans), nous apprend comment, lorsque le clinicien s’intéresse au passé, dans les deux sens, du « pas forcement utile » et aussi du « temps passé », il ouvre quelquefois la porte à la relation, pas du tout claire, avec l’angoisse et le corps. Cette relation peut être considérée comme « non pertinente » si on centre l’intérêt juste un peu trop sur le « avant-après », car ainsi on pourrait risquer de laisser une partie importante de la vie symptomatique de l’enfant hors conversation. Je cite un passage de Kanner :

« He got hold of a pair of scissors and patiently and skilfully cut a sheet of paper into small bits, singing the phrase « Cutting paper », many times. He helped himself to a toy engine, ran around the room holding it up high and and singing over and over again, “The engine is flying”. While these utterances, made always with the same inflection, were clearly connected with his actions, he ejaculated others that could not be linked up with immediate situations. These are a few examples: “The people in the hotel”; “Did you hurt your leg?”; “Candy is all gone, candy is empty”; “You’ll fall off the bicycle and bump your head.” However, some of these exclamations could be definitely traced to previous experiences. He was in the habit of saying almost every day, “Don’t throw the dog off the balcony.” His mother recalled that he had said those words to him about a toy dog while they were still in England. At the sight of a saucepan he would invariably exclaim, “Peten-eater.” The mother remembered that this particular association had begun when he was 2 years old and she happened to drop a saucepan while reciting to him the nursery rhyme about “Peter, Peter, pumpkin eater.” Reproductions of warnings of bodily injury constituted a major portion of his utterances.”

Ici, on voit comment la méthode du “carrot-stick” écarte nettement toute chance d’accompagner l’enfant, quand bien même quelquefois, étant à ce point condition de possibilité de ces méthodes, lalangue ou le langage fait prise sur le corps. C’est l’avertissement, le signe de la blessure corporelle, ce qui est noté par le clinicien.

 


1http://www.autismtruths.org/pdf/Autistic%20Disturbances%20of%20Affective%20Contact%20-%20Leo%20Kanner.pdf


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