UN LACAN VIVANT par Lilia Mahjoub

Ni le cahier central « Livres » du journal Libération, ni l’édition du 9 septembre du même quotidien n’ont fait place à la parution des livres « …ou pire » et « Je parle aux murs » de Lacan. Rien non plus sur l’anniversaire de sa mort, alors qu’il y a trente ans, le 11 septembre 1981, un numéro spécial (neuf pages) était consacré à la disparition de Lacan, sous le titre « Tout fou Lacan », soit sous une équivoque, ce que le Journal faisait chaque jour pour sa Une. C’était l’esprit de l’époque. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, pour ce qu’il en est de l’esprit. Trente ans après, c’est… le silence.
Mais voilà que ce matin, le 10 septembre, je découvre dans le Mag de Libé, deux pages qui accueillent l’entretien de Patrick Guyomard accordé à Virginie Bloch-Lainé, lequel fut diffusé sur les ondes de France Culture, le 3 septembre dernier. Je renvoie ici au numéro 12 de LQ où je commentai cette émission. Toutefois, il faut savoir que le texte de l’entretien ainsi publié dans Libé, et dont il est indiqué que des extraits de celui-ci ont été diffusés dans ladite émission, a été écrit, édité, c’est-à-dire arrangé, nettoyé voire débarrassé de toutes sortes de propos dont certains firent l’objet de mon commentaire. Il n’y a qu’à se reporter à l’émission pod-castée pour le constater. Mais ne perdons pas de temps à cela, car l’entretien du quotidien Libération, sur le fond, reste le même quant à l’essentiel de ce que j’ai pu en souligner dans LQ n° 12. Mais, quand même, consacrer deux pages de Libération sur Lacan, sur ce mode, montre un certain ravalement du niveau de ce journal qui ne se tient plus bien au courant, semble-t-il, de l’actualité culturelle ! La dernière question de l’entretien qui ne faisait pas partie de l’émission radiophonique, soit « qu’est-ce qu’être lacanien aujourd’hui ? » aurait mérité une réponse d’une autre ampleur que celle qui est ici donnée à lire. A savoir que « certains pensent que ce n’est plus la peine de lire Freud, puisque Lacan a pris sa place… » Je passe.
Mais une question s’impose : les colonnes de Libération peuvent-elles accueillir des développements plus dialectiques sur la question ? Car il aurait été autrement plus percutant, et en ce sens bien plus lacanien, de montrer que le retour à Freud s’il fut essentiel, et que Lacan fit ce travail, il alla cependant au-delà du point où en resta Freud. En d’autres termes, la conception de l’inconscient freudien n’est pas équivalente à celle qu’a forgée Lacan au cours de ses années d’enseignement et de séminaires.
Outre l’hebdomadaire le Point (n°2031) qui a fait un entretien portant sur l’éclairage de Lacan sur notre époque, aucun autre magazine n’a pris le risque d’élever le niveau du débat en s’adressant à celui qui, en établissant le texte de l’ensemble des séminaires, a là-dessus une autre vue et partant un discours qui articule en quoi Lacan a réinventé la psychanalyse. Le Monde, le Nouvel Observateur ont, il est vrai, accordé des pages à l’évènement, conviant des intellectuels qui ne sont pas psychanalystes, sous les titres « Le XXI siècle est d’ores et déjà lacanien » dans Le Monde des livres, vendredi 9 septembre 2011, et « Lacan, idole ou démon de la psychanalyse mourrait il y a 30 ans » sur le site de samedi 10 septembre pour le Nouvel Observateur. Il reste cependant des bastions dans la presse, qui se gardent bien de faire place à un Lacan qui dérange toujours, un Lacan qui ne se laisserait pas prendre aux rets du discours de l’université, pour devenir reader’s digest, et ce, au travers de portraits que l’on fait de sa personne, ou de résumés de sa pensée. La frilosité voire l’ignorance affichées par le quotidien cité, me font conclure, dans le fil de ce que fit avec force et détermination Jacques-Alain Miller, hier au soir dans la cour aux Ernest de l’Ecole Normale Supérieure, en formulant qu’il existe un autre Lacan toujours vivant, et que celui-ci n’est pas près de disparaître dans le discours commun.

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