Cher Jacques-Alain Miller,

Vous disiez de votre Neveu de Lacan : « non un pamphlet, mais une satire ; non pas des ennemis, mais des ridicules ». J’aime beaucoup cette formule montrant que l’autre est bête avant d’être méchant. Lacan ne dit-il pas (mais où ?) quelque chose comme ceci : l’embrouillé enrage de s’embrouiller, et s’en embrouille encore plus ? Bref, le ridicule peut devenir mauvais, c’est même sa pente « naturelle », pour ne pas dire logique.

Ridicule, la « reine », autoproclamée  meilleure spécialiste de Lacan, l’est autant en écrivant sur Lacan auquel elle ne saisit goutte – le dernier opus est affligeant – qu’en en parlant, comme l’a bien épinglé la plume, moliéresque pour l’occasion, de Deborah Guterman : un manteau de fourrure  pérorant devant une salle à moitié vide !

J’ai beaucoup aimé cette phrase de votre Vie de Lacan : « C’est ainsi que j’ai toujours vu que c’est soi-même qu’on juge en condamnant Lacan. Qui reconnaît en lui une figure ennemie dessine la sienne propre. » Lacan se tenait donc sur une position forte, et avec lui la psychanalyse qui s’en réclame. N’est-ce pas l’une des raisons pour lesquelles elle est si facile à défendre (sur le plan des arguments, bien sûr) ? Vous avez même dit quelque part, suivant Lacan, que la psychanalyse a toujours raison, et que c’est sa faiblesse, l’adversaire n’ayant aucune chance d’échapper à sa propre fureur.

Ce que vous n’avez pas dit, mais qui est évident, c’est que cette position est aussi la vôtre. En effet, que sont vos adversaires devenus ? Disparus, perdus dans la nébuleuse de leur rancune !

Tout ceci m’amène à cette question que beaucoup d’entre nous se posent: pourquoi conservez-vous cette place singulière de roi secret que  BHL vous reconnut naguère? L’on dira que vous êtes moins secret qu’alors (l’affaire Accoyer) mais quand même, votre cours reste pour la majeure partie de l’opinion éclairée inaccessible, d’être éparpillé dans des publications de niche (cf. expression de votre fille dans LQ). Les canailles vous tiennent à l’écart, c’est une évidence, mais n’est-ce pas une arme qu’ils puisent dans votre discrétion même, en la retournant contre vous ?

Votre cours, dont vous considériez au début des années 80 (je vous vois encore le dire) qu’il manquait encore de titre au sérieux puisque sa série était courte, a maintenant changé de statut. Il compte au moins trente volumes qui ont changé la psychanalyse (au moins celle pratiquée à l’ECF) et mérite – non, exige – une autre forme que celles où il est actuellement dispersé. Cette forme existe, mais dans une autre langue que la nôtre, l’espagnol. La publication, pour autant que je puisse en juger ignorant la langue, en est soignée, sa forme élégante et sobre, n’imitant pas celle que vous avez inventée pour le Séminaire. À ouvrir le Partenaire-symptôme, établi par Sylvia Tendlarz, on découvre, étoffant le syntagme énigmatique que nous avons seulement en français, des titres aussi percutants qu’évocateurs tels : Qu’est-ce qu’être lacanien ?; la revalorisation de l’amour ; le répartitoire sexuel ; le concept de jouissance … C’est un feu d’artifice dont l’absence rend la scène française d’autant plus lugubre.

Vous avez sans doute de fort bonnes raisons de ne pas vous être dépêché (vous avez écrit que Lacan n’était pas un auteur pressé, et l’on s’aperçoit que c’est aussi votre pente) mais le temps n’est-il pas venu que votre cours sorte enfin de l’ombre ?

REPONSE DE JAM. Vous avez raison. Il est temps. La demande se fait plus insistante, pressante. Agnès m’a adressé un mail, inachevé, sur le même sujet. Si je publie maintenant mes trente volumes, je me serai conformé au topos de la formule de modestie, dument répertorié par Curtius, qui veut que l’auteur s’excuse de publier, et fait endosser ce péché par l’Autre, sa demande, sa commande.

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