PAULINE PROST. L’inconscient au paradis – Comment les catholiques ont reçu la psychanalyse d’Agnès Desmazières. Ce titre saugrenu vise sans doute à adoucir l’effet rébarbatif d’un travail de thèse, dont l’érudition pointilleuse peut rebuter le grand public. Ainsi raccourci et filtré, l’ouvrage fait défiler une foule innombrable de penseurs, savants et clercs, mobilisés dans un débat sur la psychanalyse où l’Eglise engage sa modernisation.

Un personnage domine la scène et canalise toute cette effervescence: Agostino Gemelli, franciscain, médecin et psychologue, recteur de l’Université catholique de Milan: présent à tous les tournants de cette complexe hainamoration, il avance, recule, fluctue, mesure les périls et les promesses de cette nouvelle “médecine des âmes”.  Mais on déplore que l’étude reste centrée sur les parcours personnels et les conflits d’appareil, sans que soient explicités les enjeux doctrinaux, tels que le débat initié, dans les années 20, par J Maritain et R. Dalbiez, dont le néo-thomisme amorce la diffusion de la pensée freudienne, dans une connivence ambiguë, repérée par Lacan, via E. Gilson

Il est impossible de résumer l’ampleur de ces débats fiévreux, qui engagent l’Europe entière, les U.S.A. et l’Amérique latine. On peut cependant les faire tourner autour de deux axes: la dissociation de la méthode et de la doctrine, rempart des catholiques contre le “pansexualisme” freudien, et la question de la culpabilité, qui engage la morale et, au-delà, le dogme du péché originel.  Le premier est débordé et rendu intenable par la question des vocations et du célibat des prêtres, qui met le “sexuel” à l’affiche, le second doit affronter la question du surmoi  qui ébranle la frontière entre le normal et la pathologique, autre digue érigée contre la subversion freudienne du “spirituel”.

Ainsi ce “Paradis” est-il le lieu d’un nouage borroméen entre psychanalyse, médecine et religion: celle-ci, armée du binaire “normal/pathologique”, invoque la médecine pour faire barrage à la psychanalyse,  puis s’allie à la psychanalyse, apprivoisée en “psychologie des profondeurs”, pour endiguer les périls matérialistes de la science, et fonder une anthropologie chrétienne, voire un nouvel humanisme.

“Trinité infernale”, dont nous ne sommes pas vraiment sortis. PP

 

 

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