Les Trouvailles de la psychologie évolutionniste (1) par Éric Laurent

Il faut être à la fois professeur de psychologie à Harvard, auteur de best-sellers scientifiques, psychologue évolutionniste, neuro-expert toutes cognitions, « juif culturel sérieux», et marié en troisièmes noces à la philosophe écrivaine Rebeca Goldstein, pour pouvoir soutenir la thèse que Steven Pinker soutient dans son dernier livre, sorti en octobre. Il porte le beau titre de : ‘Les Anges du meilleur de notre nature’. En V.O : ‘The better Angels of our nature’. Sa thèse est simple : la violence dans l’histoire humaine diminue. La raison en est aussi simplement énoncée : notre cerveau évolué peut dominer notre cerveau reptilien. Cela fait partie des bonnes nouvelles que peut annoncer la psychologie évolutionniste. Nous ne sommes pas déterminés par l’évolution pour rester fixés aux conditions du passé, nous pouvons évoluer vers le mieux. La thèse est simple mais elle est soutenue par des raisonnements et des preuves compliquées. Elles incluent le calcul statistique à partir de traces archéologiques pour calculer les taux d’homicides aux époques les plus reculées. Elles ajoutent des calculs sur documents historiques, extrapolés dans les règles, qui montrent que le taux d’homicides en Angleterre est maintenant le centième de ce qu’il était aux alentours de 1400. Nous passons aussi par des réflexions anthropologiques sur la nature des violences dans les sociétés sans État comparée aux effets du monopole de la violence légitime une fois faite l’invention cognitive de l’État. Nous n’échappons pas d’avantage aux vastes réflexions sur les bienfaits de l’éducation pour lutter contre les préjugés de toutes sortes et les comportements violents dans leur ensemble. L’égalité croissante des sexes et leur attitude distincte à l’égard de la violence directe est bien entendu prise en compte. Comment résister à de si nombreuses et si belles évidences ? Enfin quelque chose de quoi se réjouir dans un monde si méchant et cruel.

Dans toutes ces belles preuves statistiques un petit problème semble difficilement éliminable : le vingtième siècle, ses guerres entre états, ses guerres civiles, ses guerres oubliées, ses guerres justes et son ignominie centrale : la Shoah. Pinker hésite, il n’est pas obtus, mais il tranche cependant. Il s’agit d’un phénomène aberrant, exceptionnel, imprévisible, non significatif finalement. Pas de chance pour le vingtième siècle et ceux qui l’ont habité, mais il ne faut pas perdre de vue le point de vue le plus large, le panorama global.

Ce cas bizarre ne met pas en cause la tendance lourde. Il faut simplement savoir garder ses nerfs. Son raisonnement est à l’envers de celui de Nassim Nicholas Taleb dont le livre Le cygne noir’, écrit en 2007, a eu un retentissement formidable avec la crise économique de 2008. Le livre ne traitait pas des exploits de danseuses anorexiques, schizoïdes et suicidaires, mais des cas aux extrémités des courbes de Gauss des séries statistiques. Les cas extrêmes, notait l’auteur, sont laissés de côté dans les calculs, car leur probabilité d’occurrence est faible. Pourtant, ils finissent par se produire, avec leurs effets ravageants. L’effondrement des marchés financiers à la suite de la crise des sub-primes était une démonstration dans la réalité de la portée de la mise en garde de Taleb : ne jamais oublier les ‘cygnes noirs’ dans les séries qui vont dans le bon sens. Ce genre d’événement n’arrive pas qu’aux autres. A l’époque, les économistes enthousiastes réunis dans la Banque Centrale Américaine autour d’Alan Greenspan, ne cessaient pas de se réjouir de la longue période de croissance que traversait l’économie mondiale. Ils en venaient à écrire que l’économie avait enfin réussi à résoudre la quadrature du cercle : un capitalisme sans crise financière était possible.

La cause en était la productivité toujours plus grande assurée par les développements de l’électronique et des NTIC (Nouvelles technologies de l’Information et de la Communication) en général. Nous connaissions alors des beaux jours qui n’avaient aucune raison de pâlir. Las, l’imprévisible s’est produit et depuis, nous nous débattons dans le champ dévasté de la plus grande crise depuis les années trente sans avoir l’idée d’en voir le bout. Il est donc d’autant plus remarquable de lire le message de Pinker. A quoi bon « penser Auschwitz ? » A quoi bon s’interroger sur l’impériosité du « sacrifice aux dieux obscurs ? » A quoi bon réfléchir sur l’orgie de nihilisme que le système totalitaire et despotique que, « l’ennemi du genre humain », le nazisme a produit ?

Nous n’avons rien à apprendre de ce qui se passe lorsque l’État et son monopole de la violence légitime devient fou, se lance dans des guerres impériales ou massacre sa population comme le procès encore actuel des Khmers rouges à Phnon Penh, nous le rappelle tous les jours. Grâce à la psychologie évolutionniste nous pouvons être optimistes au moins sur une chose : la diminution de la violence. Le vingtième siècle n’est pas la vérité de la civilisation et de son mensonge, il est une aberration statistique. Nous pouvons continuer à dormir tranquillement, à rêver peut être. Pinker est un soixante huitard du type optimiste. Il a beau vivre au milieu des dures réalités des images de l’activité corticale données par l’IRM f, il n’en est pas moins poète un peu. Les bonnes nouvelles qu’il tient à nous faire partager sont aussi un trait de la discipline qui est la sienne : la psychologie évolutionniste. Nous nous intéresserons, dans cette chronique, à d’autres trouvailles de la même farine qui sont mises à notre disposition. Sur l’amour et le sexe ce n’est pas mal non plus. Nous le verrons à l’occasion.

Éric Laurent

2 décembre, 16 heures.

Publié dans le N°106 de Lacan Quotidien

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