L’enfant généralisé : plus de lalangue, des signes par Béatrice Landaburu

En écho au dernier texte de Clotilde Leguil, dans le LQ103, un petit mot sur une mode, très préoccupante, qui est en train de s’installer dans le champ de la Petite Enfance.

Une association, peut-être animée des meilleures intentions (mais les meilleures intentions conduisent souvent au pire…) propose aux professionnels Petite Enfance une nouvelle façon de communiquer avec les bébés, à partir de signes.

Sous le slogan alléchant « Votre enfant a des choses à vous dire…bien avant de pouvoir parler ! », on vous explique très sérieusement « Les enfants maîtrisent bien plus tôt et plus rapidement les muscles de leurs bras et de leurs mains que ceux de leur bouche », ils sont donc capables de communiquer par gestes, ou plutôt de « signifier », c’est le terme employé, « leurs émotions et sensations ».

Quel est le but d’apprendre à des enfants non sourds cette langue des signes ? « La fréquence et l’intensité des frustrations diminuent d’un côté comme de l’autre ». Nier l’inconnu qu’est l’enfant, niveler le maternage à l’échange de signes, nier la dimension des soins : le même signe pour chacun – va à l’encontre de ce que Lacan nous a appris du rôle de l’Autre maternel : « que ses soins portent la marque d’un désir qui ne soit pas anonyme ».

Françoise Dolto, dès 1939, dans sa thèse, définissait le sujet comme une incarnation de l’Autre, faisant de l’enfant, dès sa naissance, un sujet du langage. Lacan, avec son concept de « lalangue » a permis une sortie de cette impasse en écrivant : « Si j’ai dit que lalangue est ce comme quoi l’Inconscient est structuré, c’est bien parce que le langage, d’abord, ça n’existe pas. Le langage est ce qu’on essaie de savoir concernant la fonction de lalangue »

Dans une émission de France Culture, en juin 2005, Jacques-Alain Miller posait la question : « Qu’est-ce que c’est la langue que parle le petit enfant et qui n’est pas celle de tout le monde ? ». Il démontrait, à partir d’une vignette familiale, que l’enfant se bricole une langue privée en fonction de ses intérêts. Je le cite : « Est-ce que c’est un apprentissage que cette activité primordiale ? Mais non, c’est un jeu. C’est jouissif. C’est là qu’on saisit la valeur de ce mot d’esprit de Lacan quand il disait que la jouissance est avant tout le sens-joui : le sens joui. Ce sens joui, c’est le sens joué, justement ».

« Reviens, Dolto » était un des slogans de la dernière manifestation des professionnels Petite Enfance, à l’initiative de « Pas de bébés à la consigne », contre de nouvelles dispositions pour recevoir plus d’enfants dans les crèches, soit 12 bébés par professionnelle. Évidemment, il serait alors plus facile de faire signer les bébés, plutôt que de s’attacher à accueillir chacun dans sa singularité.

Laisserons-nous nos lieux d’accueil contrôler, maîtriser, voire nier et inter-dire l’utilisation de lalangue chez les petits-enfants ? A cette question politique, le psychanalyste répond : « non ». Comme le formule René Char: « Réponds absent toi-même ». Il s’agit de dire que non à cette utilisation généralisée de signes qui rappellent tristement les pires théories comportementalistes.

Publié dans le N°104 de Lacan Quotidien 

 

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