Le temps d’un bilan : La mission locale ouest de la Réunion me demande

(en tant que psychologue) de recevoir des jeunes adultes en groupe de parole, durant trois mois, afin de faire un état des lieux des problématiques psychiques de ces jeunes. Un certain nombre d’entre eux sont laissés pour compte, faute de s’arrimer à un projet professionnel. De très nombreux jeunes sont effectivement inscrits dans les missions locales de la Réunion. Ces institutions ont adopté « l’approche globale » qui propose aux jeunes un accueil spécifique, une écoute et un accompagnement dans un projet de vie. Différentes aides sont autant de petites ressources qui s’avèrent indispensables.
Le bilan met l’accent sur le défaut d’élaboration manifeste constaté chez les jeunes. Les plus audacieux parlent de leur position de « victime de la société », voire de rebus. Ceux qui sont confrontés « à la logique de la survie », trouvent des solutions (s’adresser au CCAS notamment) mais plus souvent tentent d’oublier la réalité dans des conduites à risques ou délictuelles. Mais « le retour est encore plus dur, car les problèmes sont toujours là ». Ils restent perdus, sans limites, parfois sans toit. J’ai choisi d’articuler le signifiant incasable pour traduire leur difficulté à s’insérer dans la vie ainsi que dans les cases du programme informatique dans lesquelles les professionnels de la mission locale doivent les loger. Ma référence à la psychanalyse est clairement avancée et bien accueillie. Depuis, le financement de la Région pour les interventions de psychanalyste est renouvelé pour l’équivalent d’une journée par semaine, pendant plusieurs mois par an.
Le temps d’un ajustement de ma pratique : Depuis deux ans, je reçois les jeunes en individuel, mais sur une période définie à l’avance : une séance maximum par semaine pendant environ six mois. Certains s’en saisissent. C’est le cas de ce jeune homme dont l’une des significations de son prénom est « celui qui a peur de trouver refuge aux cieux ». La peur est mise en avant et le désir sous jacent est à peine voilé par ses conduites addictives, ses accidents de motos ou ses paroles : « ma mère [dont les hommes autour d’elle, meurent] veut m’enterrer, ça n’a pas suffit qu’elle m’ait cassé la gueule ». Sa solution est de partir en métropole pour se former dans la restauration. Là-bas, il pourra rencontrer une femme et personne ne sait qu’il a fréquenté les cagnards. Une nouvelle vie peut commencer : « Tant qu’on n’est pas mort, c’est pas fini ! » De cette rencontre avec la psychanalyse, il dit qu’il reste encore du travail.
L’étonnement : Depuis peu, des jeunes filles arrivent accompagnées de leur mère à la mission locale. Parfois, les conseillers n’ont pas d’autres choix que de les recevoir ensemble. Des couples également demandent à être rencontrés. C’est souvent d’un ravage mère-fille ou au sein du couple que ces jeunes viennent parler. Des jeunes qui veulent être « stars » ou « auteurs » m’amènent leurs productions. La question de concilier un accueil de sujets au bord ou hors réalité avec les objectifs de la mission locale se pose. C’est toujours au un par un qu’avec l’équipe nous tentons d’y répondre. Il s’agit aussi de soulager quelques maux, parfois de traiter l’urgence subjective, aider à l’émergence d’un désir.
Le temps de dire quelques mots : À la journée des vingt ans des missions locales de la Réunion début décembre, j’ai participé à l’atelier « Concilier la volumétrie et l’accompagnement individuel ». Plusieurs discours s’entrechoquent : la dénonciation d’un absurde du côté des professionnels (chaque conseiller a un « portefeuille » de trois à cinq cents jeunes), pendant que l’expert (l’association financée par l’Etat pour faire des évaluations à moindre coût, basée sur les compétences et l’estime de soi de jeunes) préconise un travail semi-collectif avec les jeunes, soit moins d’individuel. Le donneur d’ordre et financeur embaume les résultats obtenus par les professionnels, pas sans rappeler qu’ils sont à l’origine du maintien des moyens financiers. D’une voix peu audible qui nécessite que le brouhaha se dissipe, j’interviens : quantité de jeunes trouvent en la mission locale une mise à l’abri, car des conseillers les aident à trouver des repères dans la société actuelle, un mode d’emploi pour ne pas être noyés dans la masse des chômeurs. Bon nombre de projets s’inscrivent sur du long terme à condition de ne pas être confrontés à la volumétrie de conseillers. D’ailleurs, certains d’entre eux ont pu faire partie des jeunes inscrits à la mission locale et pourraient à nouveau se trouver dans la même situation que les jeunes accueillis une fois leur contrat précaire terminé.

Texte relu et corrigé par Christine Maugin.

Comments are closed.