Le nom des amours (IV) par Laure Pastor 

Publié dans le N°114 de Lacan Quotidien

Du sacre et du sexe, un serment et le foutre à la plume, au glaive, à l’archée, au pinceau, au clavier : alors foutraque ! Enlevez-moi vite pour revenir au nom des amours. Je suis moins suspecte qu’une pomme pour approfondir le sacrement d’une eucharistie, dont ceci, ma « penne », la plume la plus longue fixée sur les ailes (ou la queue) de l’oiseau qui m’accompagne, est, aussi, mon corps et mon sang. Quand je choisis d’embarquer certains vaisseaux prêts à traverser la soupe galactique de l’amour super accident cosmique, je trace un long trait de parole, sans souffler,  une poussière issue du choc thermique : de la condensation à l’état pur, soit, une fusée s’envole, de la substance-même de l’écriture, qui s’efface, avec chaque lettre, amour, amou, am, a… aussitôt le vent et l’impossible à redire qui l’emporte. Une phrase tombe dans l’oubli de sa réelle absence et je me mets à aimer son univers. Nous sommes en haut du lointain, on regarde calmement certains spectacles d’affirmation et de réponse, de défi et de riposte, d’appels et d’échos,  il faut dire qu’on s’est enfui pour ça : apercevoir du point de notre distance ces lieux immobiles et déserts, comme un secret. Chut… s’illuminer au ciel ne donne aucune assurance, s’aimer n’importe où, le célébrer n’importe quand, rend tout fragile, même si c’est le privilège des amants lucides, comme dirait l’autre, menacés, miraculeux que de naître dans le rien parce que le néant les aime, leur rend bien puisqu’il a fait surgir pour eux les fleurs, les soleils, les bords et les fenêtres, histoire de ne plus avoir peur de l’océan. Et de quel océan si ce n’est pas celui de la puissance des mots ? Des mots à chérir comme lointains, le lointain comme notre plus proche prochain, qui ne fait pas de notre proche un reproche. Tu pourras lui crier à l’océan que tu l’aimes et bien mieux qu’il ne se déchaîne lui-même, le défendre, coupable, devant l’éternité, devant la loi,  qu’il veut pourtant te promettre, comme ce qui est donné.  Boum ! Et voici que le Big Bang viens de te propulser, toi aussi es-tu prêt maintenant à composer avec sa radiation fossile ? Écrire même à partir de ce brouhaha primordial qui se dissipe peu à peu jusqu’à emplir le ciel comme un infime murmure radio. Je voudrais être une petite barque désireuse d’entendre. Entends-tu chanter le ciel nous entourant tous de ce fond diffus comme premier cri de l’univers ?  Entends-tu la voix grailleuse, murmure uniforme et primordial, homogène dans toutes ses directions, isotrope, constant d’intensité, substance chaude et opaque à l’équilibre, qui envahit toute la voûte céleste, d’un signal ne variant ni au fil du jour ni au cours des saisons, étranger au soleil et à la voie lactée ? Elle est chaude la vague de l’amour, précis le lieu aimanté pour l’intimité. Si le rayonnement de la mélopée est la nourriture de l’amour, jouez toujours, donnez m’en à l’excès, nous y resterons cachés là-haut pour le caresser d’une idée.

Et s’il y a des haines et des idées à contourner, des amours et des paroles à sauver, il y a aussi l’eucharistie comme tentative et tentation  d’y accéder, où la communion comme tout partage qui nous enseigne par exemple, que baiser et faire l’amour se tiennent à cette différence musicale prêt, que cela ne s’écrit pas pareil, et pour cause, il y a des lieux séparés, des relations entres ours blancs et baleines (Freud), hommes et femmes ne connaitront jamais la même éternité (Apollinaire). La baise ignore l’existence de certain lien musaiques, n’entre pas, s’arrête, aux portes de cet espace fantasmatique de la langue, où par moment le poème semble se traduire par lui-même. Véritable acmé de la performance littéraire : dis-moi comment tu écris, je te dirai si tu as jouis. Soit, le seul rapport qui existe vraiment : la façon d’utiliser les phrases et la manière dont on jouit, sinon, d’où viendrait ce fait que les êtres humains ne s’entendent pas parler, n’aient pas le retour de leur propre son ? Comment écrire la maladie des voix. Donc ! Ou bref, peu importe, ou pas si vite, petite lumière sur une telle hésitation. Donc : conjonction, qui exprime tour à tour au choix c’est selon, une conséquence, l’introduction d’une conclusion, la marque d’une surprise. Bref : adjectif ? (concis qui dure peu) adverbe ? (en peu de mot) ou finalement nom masculin ? Un bref apostolique, cette lettre du pape, appelée ainsi à cause de sa brièveté, ne contenant ni préambule, ni préface, ne comportant que ce que le pape accorde, d’importance moindre qu’une bulle, portant sur une décision ou une déclaration à caractère privé, formellement, au sens strict, c’est un document scellé par l’anneau du pêcheur, cire rouge, sceau marquant l’autorité du pape. Au hasard parmi toutes la série des conjonctions de subordination, je choisis : « pourvu que ». Pourvu que nous puissions ne pas avoir déjà oublié, puisqu’il est clair que nous lâche la mémoire sitôt nos désirs soudains, évanouissement, somnolence, et c’est par là-bas du côté de nos rêves que se joue le ballet, de quoi nous étions la question ? Alors [donc] petit retour en arrière [l’eucharistie], et  fête de l’union en débat sur la question de « la présence réelle », loup y es-tu ? Entends-tu ? En substance, quoi de plus normal que de dire que la chair se fait verbe, et le verbe chair, si les mots s’incarnent, l’incarnation parle, l’homme cherche à traduire le langage des dieux (aux amours des dieux !) depuis l’origine mère de ce qui est apparue sous la forme d’une humanité. Soit, dieu est un verbe libre, un électron déchaîné organisateur d’un tout indéfectible à la façon d’un amour qui ne cesserait plus d’être, maître du logos. La guerre des guerres, c’est l’amour et Dieu aussi a fait la guerre.  Mais l’incarnation est affaire de l’homme, un mystère, que de venir se loger et pénétrer, se mettre dans le où ? [Incarner] Verbe formé sur un adverbe, qui est la monture de qui dans ce genre de lecture ? C’est peut-être au plus loin de ce lieu, singulier, intime, qui ne s’accorde en rien puisqu’il ne va avec rien, au dernier tome d’une pléiade de ce mystérieux (gazouillis d’acquiescement, hululement noctambule et vobulations réciproques) que se trouve, non pas un lieu pour la baise qui ne dépasserait pas le stade du discours, mais l’homme qui garde un lieu, là il garde une différence, le vide,  tel qu’il peut dire à ceux qui ne le rencontreront jamais, que leur corps en sait et peut en faire, plus que ce que nous sommes capable de le dire. En somme, les corps humains n’ont que peu de choses à voir avec ceux ou celles qui les occupent, la coïncidence est rare aussi rare que le juste mot correspondant à la chose, le tour de passe-passe d’un bon mot, le fin’amor ! Encore une fois nous ne nous valons pas tous musiciens en histoire d’amour, de foutre et d’égo.  Devant l’inconnu : Dieu, le vide, l’absence réelle, ont fait de l’union un débat sur la question de la présence réelle de l’amour sur le sexe, ou inversement. Je pose le corps du verbe tombé dans le sang, la chair, et la volonté de la chair sur mes lèvres. Sur ma langue, je laisse entrer celui qui est venu le dire lui-même dans et par son sang et sa chair… L’eucharistie, célébration, commémoration, Lacan trente ans déjà, mélodies des souvenirs, grand mémorial historique au registre de la mort, et de l’amour à mort,  mort à la mort ! L’eucharistie est le moment solennel, rituel, qui relie autant qu’il permet recueillement, où se partage et s’incorpore, dans le sacrement, l’objet de l’oubli, qui s’incarne dans un geste rétabli, retenu et tenant lieu de mémoire à celui qui manque au festin, celui dont il ne nous reste que le nom. C’est tout cela qui rejoue un serment amoureux, où le seul enjeu est celui de la vérité.  Mais, c’est déjà redescendre au lieu d’une absence réelle. C’est célébrer ensemble à l’intérieur d’un temps social – la passion du vide. Son éclat le voile, nous empêche, nous dissimule en plein jour, on le voit partout, mais nul ne le voit. On cherche la ténuité, on sait qu’elle a une norme sans avoir encore de forme, il s’agit en fait au départ d’une parole impossible, mais proche, un hiatus établissant la faiblesse, un orifice, une perte permanente, et la possibilité non étanche de se laisser traverser, fendre l’air, la force du langage qui ne peut que se parcourir, et se traduire, promesse après promesse comme seules garanties d’une parole à soi, et validité de sa propre écriture, soit, confiance en sa propre existence, plus qu’aimer pardonner d’exister, mais surtout avenir de la littérature, dans la recherche constante et l’écriture de l’élaboration de son propre lieu où, ça ne va avec rien, je ne reconnais personne là-bas. Ma propre absence devient réelle et ce faisant elle rend possible la rencontre, ce qui apparaît comme une brève rencontre pouvant servir alors de lien avec la puissance de créer.

Les points n°I, II & III développés par Laure Pastor à retrouver dans LQ 67, LQ 68, et LQ 69.

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