Mince, sec, nerveux, le verbe haut, le ton tranchant, l’œil noir et brillant, le sourire éclatant dans un visage en lame de couteau, voici le bretteur survolté, terreur de nos débats télévisés. Mais quand il prend la plume, c’est à l’enseigne de la mélancolie. Contraste.

         Toute mélancolie se motive d’un deuil. Lequel ? C’est la France qu’on assassine ! La France se meurt, la France est morte ! La France porte le deuil de la France – entendez, celle qui, de Louis XIV à Napoléon, se voulut l’héritière de Rome. Ainsi la mélancolie de Zemmour pousse-t-elle sur le même terreau que celle d’un Chateaubriand. « Ça date un peu », disent certains. Mais d’autres, c’est un fait, attribuent leur souffrance morale, en dépit de deux siècles écoulés, aux effets post-traumatiques de Waterloo – ravivés par la guerre de 70, la saignée de 14-18, la défaite de l’an 40, la perte des colonies, et, plus récemment, les abandons de souveraineté à Bruxelles.

         Quand les Anglais durent abdiquer leur suprématie, ils l’assumèrent sans chichis ; Lacan vantait leur « rapport véridique au réel ». Le réel, les Français ne se réconcilient avec lui qu’à la condition qu’une geste héroïque vienne prendre en charge leur histoire et ses malheurs. Sinon, ils semblent voués à osciller, maniaco-dépressivement, entre l’exaltation de fictions grandioses et la délectation morose de leur déchéance, trouée de crises de panique et d’accès de rage xénophobe. Zemmour est aujourd’hui le nom de notre stress national. Il va chercher sous la pile d’édredons le point exquis de la douleur des Français,  et avec quel art pervers il le doigte !

         Les plus atteints croient que l’expression publique de leurs passions négatives les soulagerait. Illusion ! Injurier son prochain, rêver de le chasser pour rester entre soi, à jouir en pantoufles du fantasme de « la Grande Nation », ce n’est pas le remède, c’est le mal lui-même. « Ce qu’ils voudraient, c’est qu’on leur rende la France de Papa. Mais la France de Papa est morte, et si on ne le comprend pas, on mourra avec elle. » C’est, transposé, le message de De Gaulle, jadis, aux Français d’Algérie. Une cause perdue n’est jamais sans séduction. Y céder, en politique, ne pardonne pas.

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