Le détour d’un détail
Le détail d’une histoire par Anaëlle Lebovits-Quenehen
L’un des barytons du Parti Socialiste, représentant du peuple, député, nommément Jean-Marie Le Guen, vient de comparer Nicolas Sarkozy à Édouard Daladier, pensant ainsi frapper les esprits et dénoncer la politique européenne du chef de l’État français, qui tâche de s’entendre avec la chancelière allemande pour parer aux coups de la crise économique qui atteint l’Europe. Dénoncés par Jean-François Copé comme « scandaleux » ces propos indignes, en effet, sous-entendent qu’Angela Merkel est comparable à Adolf Hitler, et les affaires auxquelles les deux chefs d’État travaillent à un consensus obtenu au prix de l’honneur français, tel celui dont Munich fut le théâtre en 1938.
De tels propos procèdent selon une logique singulière, et néanmoins aisément saisissable : 1) le chef d’État français a des relations avec le chef d’État allemand (qui déplaisent à JM Le Guen) ; 2) il sait, pour l’avoir appris sur les bancs de l’École, qu’un épisode de l’histoire a réuni par le passé les chefs d’État français et allemand pour le pire. La dernière fois ce fut pour signer les accords de Munich qui firent, et feront encore longtemps, la honte de la France ; 3) ces deux termes étant posés, un syllogisme métonymique s’impose à J.M. Le Guen : les actuelles relations franco-allemandes ont des relents munichois.
Ceux qui ont assisté à l’après-midi de dimanche dernier, organisée à l’ENS par Jacques-Alain Miller autour du dernier ouvrage de Blandine Kriegel, Le prince moderne, se souviennent sans doute de la brillante – non moins qu’hilarante – intervention d’Alexandre Adler éclairant pour nous les ressorts des liens franco-allemands actuels. Rien dans ce qu’avançait ce brillant spécialiste de relations internationales, aux prédictions presque toujours justes – et qui même quand elles s’avèrent finalement fausses charrient leur lot de subtilités et de vérité – ne laissaient un instant imaginer de telles attaques possibles.
Mais, en avançant de tels propos, Jean-Marie Le Guen ne se rend pas seulement coupable d’un syllogisme métonymique qui interroge sur la faculté de raisonner de certains de nos représentants, il ne se rend pas seulement coupable d’une erreur mais bien d’une faute. En faisant des accords de Munich un non-événement (alors qu’ils précipitèrent la France dans l’horreur de la seconde guerre mondiale), un moment de conversation entre alliés (alors que déjà, l’Allemagne d’Adolf Hitler voulait la mort de la France et de l’Europe entière et plus largement du genre humain), en comparant, en creux, les conséquences de Munich à celles d’une crise économique (la paupérisation n’est pas, loin s’en faut, la reddition et les lâchetés criminelles qui s’en suivirent).
Ne nous y trompons pas : en comparant Nicolas Sarkozy à Edouard Daladier, et implicitement Angela Merkel à Adolf Hitler, Le Guen ne parvient pas tant à discréditer Nicolas Sarkozy ou Angela Merkel qu’à tâcher de banaliser un événement historique majeur dont il travestit la mémoire à des fins que nous nous garderons bien ici d’interroger.
Notons cependant, que l’une des grandes leçons de Lacan concernant l’histoire, nous invite bel et bien à considérer que l’histoire se répète, ce en quoi, il serait non seulement pertinent, mais oserais-je dire nécessaire, d’essayer de saisir quels sont les « Munich » d’aujourd’hui. Car sans doute ne manquent-ils pas. Une chose est sûre cependant : si l’histoire se répète, si le réel revient toujours à la même place, il n’y revient pas sous la même forme. Il ne suffit donc pas que les Français et les Allemands soient en bons termes pour qu’un nouveau Munich se prépare. Il y a même de grandes chances pour que ce ne soit pas là qu’il faille chercher les Munich d’aujourd’hui ou de demain.
Déplorables donc ces propos de JMLG, irresponsables aussi, et navrante encore la quasi-absence de réaction de ses camarades pour s’inscrire en faux contre de telles allégations, même si presque tous affirment par ailleurs la nécessité de relations actives entre la France et l’Allemagne.
Publié dans le N°108 de Lacan Quotidien
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