L’autiste son double et ses objets.  Presses universitaires de Rennes 2009

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Le rapport de la sénatrice du Nord Valérie Létard remis à Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion Sociale,  le 12 Janvier 2012, évalue le plan 2008-10 dans un sens favorable à la compréhension de l’autisme comme un handicap, c’est à dire un déficit. Il vise également à la mise au rebut de la psychanalyse au profit de techniques uniquement éducatives fondées sur la répétition et la formation chez les autistes de réflexes conditionnés.

Cette théorie simpliste du conditionnement humain qui peut être mise en place avec des opérateurs sous formés et sous payés, repose sur l’idée qu’un jour la science parviendra à montrer qu’il existe un lien de continuité entre l’organisme et le langage c’est pour l’instant comme le document le signale d’ailleurs, une pure spéculation. Ce parti pris montre l’inconsistance d’un rapport qui repose tout entier sur une croyance qu’un jour un pont direct sera établi entre l’homme neuronal et l’homme de la parole, le parlêtre comme Lacan le nommait.

Le rapport Létard  suscite aussi l’inquiétude par l’incantation répétitive à la “scientificité” qui le traverse et davantage encore  par l’objectivation du sujet autiste à laquelle il convoque. Le document reprend en particulier l’idée —infondée scientifiquement, insistons sur ce point—que l’autisme est une maladie biologique.

Le plan autisme de 2008—2010 comportait certes des mesures auxquelles chacun pouvait souscrire (comme par exemple la prise en charge des sujets dits “autistes” et donc “handicapés”, par des structures de proximité et de petite taille). Il reste à voir cependant comment ces propositions seront traduites dans la réalité. La prise en compte de la demande des associations de parents pour faire reconnaître l’autisme comme relevant du “handicap” est à double tranchant car l’État tend ainsi toujours plus à se décharger sur les familles d’un devoir qui devrait relever de la solidarité globale.

On reproche à la psychanalyse de ne pas s’offrir à l’évaluation : l’ouvrage publié par les presses universitaires de Rennes et intitulé “L’autiste son double et ses objets” montre de façon vivante que les psychanalystes effectuent des recherches qui sont aussi des évaluations de leur pratiques. Il permet aux lecteurs de mieux comprendre ce qui est en jeu dans la rencontre d’un sujet formé par la psychanalyse, avec un sujet autiste.

 Comme le signale le travail du Dr Maryse Roy, il n’est pas du tout avéré  qu’on trouvera un jour  à l’autisme une cause fondée dans la nature. La prétendue modernité des recherches “internationales” dans ce domaine comble le défaut entre nature et culture en s’appuyant sur des modélisations nivelantes et purement statistiques relevant de l’erreur  empirique cognitiviste décrite par Eric Laurent dans son livre ( Lost in cognition, Eric Laurent, éd. Cécile Defaut, Nantes 2008 ).

La psychanalyse en revanche prend en compte ce hiatus et elle le traite par l’avancée épistémologique qui est la sienne. Mais comme le prouve cet ouvrage, le traitement psychanalytique n’est pas figé, il avance, il évolue avec le temps. Les apports de Lacan et de ses élèves ont fait progresser l’abord des pathologies autistiques à grand pas depuis les années 50 et récemment encore comme en témoignent les auteurs réunis dans ce travail collectif.

 Le “plan autisme” de 2008-10 était censé répondre à l’inquiétude légitime des parents, or  je ne crois pas que la perspective de savoir leur enfant traité comme un objet standard d’expérimentation soit de nature à beaucoup les rassurer alors que justement ils souhaitent un traitement individualisé. Les associations parentales les plus actives ne représentent pas tous les parents, loin de là. En témoignent les files d’attente dans des institutions belges comme le Courtil ou l’Antenne 110 où de nombreux parents sont soulagés de trouver accueil et encadrement individualisé de leurs enfants en détresse et les confient à une orientation psychanalytique décidée qu’ils ne trouvent pas en France. Ce n’est pas une passion pour la Belgique qui les anime mais le sérieux des travaux et des recherches menées dans ces centres et présentées notamment dans le cadre du Champ Freudien et de l’Institut de l’enfant.

 Je me contenterai  de formuler ici quelques remarques  que le livre des PUR, clairement élaboré à partir d’une doctrine psychanalytique des phénomènes autistiques, m’a inspirées.

Le diagnostic d’autisme recouvre un spectre si large de phénomènes et d’états qu’on ne peut pas sauf à banaliser les cas, ( et donc faire fi de la singularité des souffrances) les faire correspondre à des méthodes uniformes de traitement. Ainsi par exemple le cas de Yann présenté par Jean Noël Donnart, l’enfant persécuté par le langage, et celui d’Aude, sujet autiste adolescente dont Philippe Lacadée nous donne le ressort, sont-ils très différents. Ils sont différents entre eux et  aussi différents des autres cas (celui de Cophnat par exemple que présente Daniel Cadieux). La position de chacun des ces sujets et leur souffrance est cependant  interprétable et donc traitable, à partir de concepts, certes complexes mais qui peuvent être exposés en des termes simples ainsi que le font ces auteurs.

Le plan autisme voudrait rassembler un “socle commun” de connaissances sur l’autisme. On ne pourra y parvenir par une description empiriste car les manifestations de l’autisme  sont –comme cet ouvrage le montre— liées à la subjectivité de chacun des cas considérés. La théorie neuro-cognitiviste, qui suppose au départ un déficit que les “méthodes” de traitement  sont censées combler, n’y parviendra pas, faute des concepts adéquats. En revanche l’approche psychanalytique et son épistémologie inédite précisée par Lacan, permet de donner des repères et d’indiquer des modes d’intervention qui partent des symptômes du sujet. En outre, à bien y regarder l’état  global des connaissances sur l’autisme  ne permet nullement de mettre sur pied un “socle commun” comme en témoigne aux USA la “guerre” entre les cognitivistes et les environnementalistes évoquée à l’occasion par Eric Laurent.

Le traitement des sujets autistes ne doit pas être confondu avec l’apprentissage. L’autiste n’est ni une surface vierge, une tablette de cire sur laquelle imprimer des signes ni un animal à dresser. Ce livre le montre, les sujets autistes sont des êtres humains qui réagissent aux autres ne serait-ce que pour s’en défendre; leurs “crises” ne sont pas de pur hasard mais obéissent à une logique. Contrairement à ce que laisse entendre l’utopie cognitiviste, les personnes en charge du soin des sujets autistes ne pourront pas être formées en quelques heures car il faut qu’elles soient  formées —et cela prend du temps et de l’argent— pour interpréter ce que les sujets leur adressent  souvent  de manière indirecte comme l’indique le Pr Jean-Louis Bonnat dans son article intitulé “Pour une clinique de la contigüité”. Les autistes en effet peuvent  s’avérer  ne pas avoir accès à la parole, ils sont toutefois dans un lien social minimal. Leur refus même, doit être interprété et donc traité comme une défense contre l’angoisse et non comme un déficit. C’est la thèse centrale présente dans tous les articles de cet ouvrage.

L’approche psychanalytique n’est pas opposée à l’apprentissage, au contraire, elle tient compte de ce que le cognitivisme feint d’ignorer: l’opérateur du traitement et éventuellement de l’apprentissage, est inclus lui-même dans les “progrès” du sujet qui sont ceux d’un “véritable stratège” selon la juste expression de Myriam Perrin. Le praticien y est impliqué subjectivement  aussi difficile que cela puisse être à supporter quelquefois ( et c’est à cela entre autres que les prépare l’analyse personnelle en les mettant à l’abri d’un activisme creux dans les meilleurs cas, rétorsif dans les moins bons). Ainsi s’agit-il, avant de tenter d’imposer des connaissances au sujet atteint d’une forme d’autisme, de mettre en place les conditions pour qu’il puisse se les approprier et supporter cette intrusion dans son monde. L’examen  de la fonction du “double” dans l’ ouvrage publié aux PUR est en ce sens très éclairant. Il nous permet de saisir comment dans un certain nombre de cas les méthodes d’accompagnement “marchent” malgré la méconnaissance et quelquefois la cruauté dont elles font preuve. La contribution de Laurence Lerhun s’appuie sur ce paradoxe

Examinons pour preuve de la nécessaire implication du thérapeute  le cas de Léo proposé par Emmanuelle Borgnis Desbordes. Elle rend sensible comment l’enfant, bien qu’il ne parle pas choisit un objet électif et elle énonce les conditions de son intervention qu’elle repère à partir des réactions de l’enfant ( par exemple ne pas dire non, ne pas laisser la stéréotypie l’emporter) pour que des paroles viennent  peu à peu se greffer sur des objets extérieurs au corps. Ici s’observe comment  la naissance au langage n’est pas d’abord un apprentissage mais une cession de jouissance qui permet peu à peu que le langage distribue des places ( ce qui est sa fonction essentielle) et assure le passage de la répétition écholalique à la création par la parole (ce qu’on appelle la communication et qui est une inclusion progressive de l’Autre dans le corps vivant ).

Ce livre  démontre –et ce n’est pas son moindre intérêt—  que dans tous les cas présentés l’orientation psychanalytique est efficace. ” La métamorphose de V. nous indique qu’un chemin du possible peut s’ouvrir à condition de s’enseigner du travail en cours par le sujet autiste”, dit Isabelle Fauvel. “Métamorphoses” dans certains cas, les ouvertures sont parfois plus modestes, mais elles ne s’obtiennent que grâce à une infinie patience de cliniciens informés et grâce à un dialogue avec l’autiste dont le Pr Jean-Claude Maleval parle avec conviction dans sa préface à l’ouvrage. Il vérifie ce que Jacqueline Berger dit dans son livre témoignage “Sortir de l’autisme”: des mesures qui paraissent bonnes sur le papier (comme par exemple l’intégration scolaire systématique) sont dans les faits inadéquates, faute de moyens et faute de compétence: “Sont dits scolarisés des enfants accueillis une heure ou deux par semaine avec l’aide de bénévoles au petit bonheur la chance. Cela fait du bien aux statistiques et à la conscience mais à elles seules”. L’ouvrage de nos collègues rennais montre combien une réflexion informée, une formation de haut niveau  et partant capable de s’adapter au cas et non pas d’adapter le cas à un protocole, est nécessaire. On peut raisonnablement douter que le plan autisme 2008-10 en ait donné la possibilité. Le rapport de la Sénatrice du Nord mérite à son tour d’être évalué comme incomplet et mal informé, en tout cas sur les recherches contemporaines des psychanalystes concernant l’autisme Pierre-Gilles Guéguen

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