Ces films qui nous regardent… par M-Christine Ségalen

Certains films ont une couverture médiatique telle qu’il est difficile d’échapper à leur parution. Les affiches grand format couvrent les murs des villes, les couloirs de métro, les panneaux publicitaires etc… Les interviews des acteurs et des metteurs en scène fleurissent sur les plateaux télé, dans les émissions les plus vues, aux heures de grande audience.

Il m’a semblé intéressant de se pencher sur certains de ces films à grand spectacle (et souvent à gros budget), même si ce sont des œuvres artistiquement mineures, pour en apprendre quelque chose car ils sont malgré tout le reflet d’une époque, mettant en scène des thèmes actuels, des modes, des tendances. Ainsi, malgré des scénarios assez simplistes et des héros sans étoffe, deux films américains de science fiction ont retenu mon attention : Limitless de Neil Burger et La planète des singes : les origines de Rupert Wyatt.

Dans ces deux films américains destinés au grand public et particulièrement aux jeunes, la caricature est de mise, les pseudo-idéaux véhiculés sont toujours du côté de la performance, mais cette fois, ce n’est plus la force physique qui est mise en avant, comme du temps de Terminator, de Rambo ou d’Indestructible, mais ce sont les potentialités intellectuelles des personnages qui sont visées et promues. Dans ces deux films, la recherche scientifique et ses dérives sont sur le devant de la scène. C’est l’apparition d’une substance chimique fabriquée en laboratoire et démultipliant les facultés du cerveau humain et animal, qui joue un rôle déterminant dans les deux scénarios.

La recherche scientifique fait donc « rêver ». Mais de quoi ? Cette fois de repousser les limites du cerveau humain vers des zones inexploitées. Qui n’a pas en effet rêvé d’apprendre des langues en un temps record, de comprendre des équations mathématiques, des algorithmes en un éclair, d’assimiler tous les savoirs sans l’effort de les étudier ?

La pilule miracle NZT de Limitless réussit cet exploit. Les résultats obtenus sur le héros Eddie Mora (joué par Bradley Cooper) de Limitless sont spectaculaires. Le film utilise des effets spéciaux qui impressionnent par la rapidité des images, la prise dans le mouvement, la multiplicité des informations qui se succèdent, comme si on accélérait l’activité cérébrale du spectateur qui doit « s’y voir »… L’identification ne se fait plus seulement par le biais fantasmatique, mais passe directement par le corps à cause du rythme de succession des images : il s’agit d’être dedans, d’éprouver les mêmes sensations que les personnages de l’histoire. L’image s’impose à une vitesse qui ne permet plus un temps d’analyse. D’autres films actuels tournés en 3D accentuent encore cette prise dans l’image. Un changement de rapport au corps, de plus en plus convoqué, se joue là. C’est un fait dont il serait intéressant d’analyser les conséquences, car il touche à de nouvelles formes de jouissance.

Le héros de Limitless, présenté au départ comme un looser, écrivain raté vivant aux crochets de sa petite amie, se met à éblouir son entourage par ses magnifiques capacités cognitives et par son exceptionnelle efficacité. Le renversement est radical : la jouissance de maîtrise des situations et la toute puissance narcissique sont aux commandes. Eddie Mora a des capacités d’analyse et de synthèse de données complexes, sur le modèle d’un ordinateur, il devient lui-même machine à décoder des informations et à optimiser ses actions. Une simple pilule peut manager son cerveau et lui permettre toutes les réussites possibles, exemple : devenir un écrivain à succès, mais très vite cela ne lui suffit pas, il devient évidemment un trader exceptionnel et entre dans la direction d’une multinationale qui écrase tous ses concurrents. La morale n’est pas le fort de cette histoire, mais le thème de l’addiction court à bas bruit tout au long du film, avec ses effets délétères. Le clou du film est quand même de faire du héros un homme qui arrive à se libérer du produit (petite visée morale de la fin du film), tout en récupérant tous les avantages que lui fournissait celui-ci sans les inconvénients. Il est, en effet, le grand gagnant de l’histoire, ce qui lui permet d’écraser celui qui auparavant l’avait introduit dans ce monde sans scrupules, Carl Van Loon joué par un Robert de Niro incarnant la génération précédente, dont les méthodes (corruptions, intimidations, détournements et basses besognes) sont désormais obsolètes.

L’illusion de maîtrise est totale, bien sûr, mais n’est-on pas au cinéma ? Ceci dit, est-il si merveilleux d’avoir pour idéal, pour modèle de pensée : un PC ou un Mac, même si nous pouvons envier leur extraordinaire mémoire ? Le mirage de la performance intellectuelle est basé sur le modèle cognitif qui réduit l’homme à une machine à traiter de l’information comme un ordinateur, ce qui s’avère être considéré comme « de la pensée ». Le cinéma colporte ces chimères, mais combien de temps encore saurons-nous que ce sont des chimères ? L’impact visuel est tel qu’il faut pouvoir d’abord s’en extraire pour « penser ».

Dans La Planète des singes : les origines, là aussi la recherche scientifique, basée sur des essais comportementalistes sur les singes, est mise en avant. Le but : l’expérimentation humaine et les bénéfices que les laboratoires pourraient en retirer. Là également une substance fait des miracles : elle rend des singes « intelligents » c’est-à-dire soumis à des tests cognitifs, obtenant des résultats évalués. Le savant, emporté par le succès de la réussite obtenue sur les singes, ne recule pas à expérimenter le produit sur son propre père atteint de la maladie d’Alzheimer. Les bienfaits thérapeutiques escomptés balayent toute notion éthique. Les résultats sont d’ailleurs là aussi miraculeux dans un premier temps : le père guérit et accroît ses propres capacités intellectuelles.

Mais une limite est introduite dans ce film qui se veut plus moral que le précédent : des effets secondaires dangereux pour les humains vont arrêter le héros dans sa course, même si cela s’avère trop tard pour la planète. Les singes vont désormais prendre le pouvoir mené par le plus intelligent d’entre eux : celui qui réussit l’exploit de parler ! Un singe humanisé qui renvoie l’inhumanité du côté des hommes. Les effets spéciaux sont là aussi très réussis, les déplacements virtuels des singes dans l’espace semblent plus vrais que vrais.

Cinéma, fictions, caricatures certes, mais goûts du jour, ceux d’une époque où toujours plus, les sujets se font objets : sujets-objets de la médecine (chirurgie esthétique, prothèses, développement des médications en tous genres), sujets-objets soumis à un culte du corps et de la performance, sujets-objets dépendants de produits ou de jeux qui les transportent dans des mondes irréels, sujets-objets de plus en plus consentants à l’être… Des miracles sont toujours attendus du côté d’un moi qui se nourrit de ces scénarios fictifs, d’un moi qui pourrait s’avérer prêt à consentir à sa déréalisation pour être plus proche d’une image pseudo-idéale : sans failles, sans pertes (de mémoire ou autres), sans affects…

Ces films souvent plébiscités par un large public véhiculent les fictions d’une époque et, à ce titre, peuvent, malgré toutes les critiques négatives qu’on peut leur attribuer, être sources d’informations pour un psychanalyste. Cela vaut la peine d’y jeter parfois plus qu’un coup d’œil….Ils nous regardent.

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